parmi les soutanes rouges du Vatican, régnait une bien menaçante quiétude. Comme un nuage noir qui se profilerait à l'horizon et s'étendrait petit à petit au-dessus des têtes. Mais soudain, tel un éclair transperçant le ciel, le silence religieux fut brisé et la serrure violée. L'immense portail qui séparait les cardinaux du reste de la communauté ecclésiastique s'ouvrit. Surprise. Consternation. Fureur. Qui osait donc pénétrer dans le consistoire sans autorisation? Dans l'assemblée de rouge pourpre, semblable au sang, un point noir s'avança. Le prêtre dans son habit obscur jeta un regard presque ému à la foule de cardinaux. D'une voix forte mais tremblante qui trahissait son émotion, il s'empara de la parole, surpassant les murmures des hommes en rouge:

« Ils l'ont trouvé ! Ils l'ont trouvé... la nouvelle Babylone ! »

Chacun se tourna alors vers son voisin avec la même expression de surprise gravé sur le visage. Les murmures et les chuchotements s'unirent pour ne faire qu'un, réduisant le silence à néant. Mais contre toute attente, parmi la clameur désordonnée des réactions, un religieux osa:

« C'est impossible ! La Nouvelle Babylone est un mythe ! »

Nouvelle vague de stupéfaction parsemée de doutes.

« Silence, vous-tous et rasseyez-vous ! Quant à vous: parlez. Dites-nous ce que vous savez à propos de la Nouvelle Babylone. »

L'homme au crépuscule de sa vie qui présidait l'assemblée, s'était exprimé avec une telle conviction, que tous s'étaient tus sans nulle réticence, laissant la parole au jeune prêtre:

« Les experts sont affirmatifs. Ils ont réussi à déchiffrer le tablettes de Persepolis. D'après eux lorsque Babylone la Grande a été détruite par le courroux de Dieu, un nouveau passage reliant la ciel, la terre et les enfers s'est crée sur Terre... »

« C'est impossible. Impossible, vous entendez ? Comment pourrions nous savoir où elle se trouve désormais ? »

« Écoutez-moi, ce n'est pas impossible. C'est même... vrai: sur l'une des pierres, les nombres que nous prenions jusqu'alors pour une simple suite mathématique sans sens, étaient en fait des coordonnées. Ces même coordonnées qui une fois méticuleusement décryptées nous donne: 37° 33′ 57″ Nord et 126° 58′ 41″ Est... »

« Venez-en au fait ! Quel est cet endroit ? »

«C'est l'emplacement même de l'actuelle capitale sud-coréenne. »

A nouveau ce silence étrange qui reprenait ses droits. A cet instant personne n'avait réalisé l'importance de cette ville qui jusqu'alors paraissait lointaine et inconnue. Séoul: la terre entre Ciel et Enfer.

Sommes-nous humains parce que nous contemplons les étoiles ou les contemplons-nous parce que nous sommes humains ? Sans intérêt aucun. Les étoiles nous contemplent-elles en retour ? Voilà une question digne d'être posée. En parlant d'astres luisants: où sont-elles passées ? Où sont les étoiles de Séoul ? C'est sans doute la question que se posent des millions d'habitants lorsqu'ils lèvent les yeux vers ce ciel de nuit sans fin. Sont-elle mortes d'avoir trop jalousé le brillant éclat des lumières artificielles ou ont-elles tout simplement préféré fuir l'enfer de la ville ? Non, rien de tout cela, ne vous méprenez pas: elles sont bien là, terrées derrière les épais nuages de poussières qui menacent la cité. Et leurs regards ne sont attirés que par nos histoires. Elles apprennent la vie. Elles observent la mort. Tremblent pour les amoureux maudits. S'affaissent sous le poids des conflits. Arpentent les destins. Croisés. Déchirés. Retrouvés. A nouveau séparés ou éternellement liés.

Mais de là haut, elles ne sont pas les seules à nous observer. Je m'en rappelle encore: quand j'étais enfant ma mère parlait d'une prophétie. D'un temps où le monde entier se couvrirait de ténèbres et où le destin de l'humanité serait scellé. Elle disait que Dieu avait changé, qu'il était furieux contre ses enfants. Et si elle avait eu tort ? Et s'ils avaient tous eu tort ? Et si en réalité, Dieu avait abandonné l'Homme dès sa création, tel un cruel observateur ? La dernière fois qu'il a perdu foi en l'objet de sa démesure, le Seigneur a envoyé le déluge; cette fois, c'est son armée d'anges qu'il soulève. Quand Dieu devient la cause de vos malheurs, inutile de prier pour votre salut. Cependant ne pas y croire ne vous protègera pas non plus. La première à tomber serait la "Nouvelle Babylone", cet unique passage entre terre, ciel et enfer. Il est l'heure désormais et nul n'est préparé à cette ultime bataille..Mais ne vous inquiétez pas: ceci n'est pas le début de l'apocalypse; seulement une extermination.

Tous sans exception pensaient avoir tout vu et tout accompli pour arriver là où ils étaient. Corruption, démagogie, trahisons, complots, fausses dépositions, témoins passés sous silence, enquêtes véreuses, ventes d'armes à des pays-sous développés, malversations financières, tricheries électorales...Oui ils avaient vraiment tout fait, mais rien ne les préparaient vraiment à cette rencontre. En même temps qui pouvait l'être lorsqu'il s'agissait d'un entretien avec le Diable lui-même. Entre les chefs d'états des plus grandes nations, la tensions était plus que palpable. Et bien sûr, un seul d'entre eux arborait un petit sourire: le commandant en chef des légions infernales, lui-même, qui présidait le rassemblement secret. Puis le calme se fissura lorsqu'un petit homme aux yeux plissés et aux larges cernes frappa du poing sur la table, avant de se lever en poussant violemment son siège:

«Il faut vraiment mettre un terme à tout cela ! Dans mon pays, les crimes ont doublé en moins de deux mois. On a recensé pas moins de 1400 meurtres de sang froid, d'une violence sans précédant, depuis ces quatre derniers mois ! Ces criminels sont des personnes lambdas sans antécédent judiciaire. Pour ceux qui n'ont pas disparu dans la nature, le discours lors de la garde à vue est le même: colère incontrôlable, crises aiguës de paranoïa, hallucination, démence, accès de violence et de fureur suivie d'une amnésie totale. Certains parlent même d'une voix qui leur aurait dicté leurs gestes. Combien de temps devrons-nous et pourrons-nous encore cacher ces affaires ? »

Un homme avec un fort accent de l'est prit alors les devants, faisant volt-face à son voisin:

« Nous sommes tous dans le même cas, c'est pour ça que nous sommes ici d'ailleurs. Alors calmez-vous ! »

Les visages étaient livides et pourtant un rire retentit. Lentement, chacun se tourna vers la source du ricanement. Pas de doute possible sur la provenance.

« Dieu est décidément un grand farceur. La discorde. J'ai inventé ce mot et j'ai pratiqué ces tours de passe-passe pendant des millénaires. Je vois qu'il a vraiment su prendre exemple sur moi, le vieux fou. Mais revenons en au fait: Si vous m'avez convoqué ici, ce n'est pas pour que je vous regarde débattre, n'est-ce pas ? »

Les gorges se nouèrent comme si un vent froid venait de pénétrer les entrailles de chacun.

« Contre qui devons-nous nous battre? Et qu'est-ce...qu'est-ce que vous pouvez faire pour nous ? »

Une étincelle traversa l'œil avisé du Malin.

« La réponse à votre première question : les envoyés de Dieu. Des anges, si vous voulez. Quant à la seconde question, je dirais que... je peux tout. Jamais les Enfers n'ont été aussi forts. Je vous offre ma protection. Ralliez-vous en mon nom et je serais votre égide. »

« Et en contrepartie ? »

« Vos âmes. Mais... quand je dis ''vos'', je ne fais pas seulement référence à vos pauvres existences de politiciens corrompus. C'est celle de chaque Homme sur cette planète que je réclame. »

L'entretient se clos ici; sur le serment d'une promesse inviolable. Le pari éternel entre le Ciel et les Enfers venait de prendre un nouveau tournant. L'humanité pouvait dès à présent commencer une nouvelle page dans sa destinée car celles écrites jusqu'à présent allaient se consumer à jamais dans l'œil du Tout-Puissant.