Il avait passé des heures depuis ce jour au centre commercial à penser au lieu parfait, à l’environnement parfait, la soirée parfaite pour faire ce qu’il allait faire. Et sincèrement, il était si nerveux qu’il arrivait à peine à tenir le volant de la voiture et à conduire droit. Pourtant il les mena tous à bon port, s’arrêtant devant ce qui semblait être les ruines d’un ancien cirque. Il y avait quelques roulottes délabrées qui avaient perdues de leur couleur originelle, 1 ou deux chapiteaux encore debout et déchirés d’un bout à l’autre, des cages, des accessoires…Une personne tout à fait normale n’aurait jamais choisi cet endroit mais, on le savait, Yûto n’était pas normal. Une personne lambda n’aurait pas apprécié être emmenée dans ce genre de lieu pour passer une soirée en famille, mais Ren n’était pas une personne lambda, il était unique, et ça aussi l’ange le savait.

Il lui fit signe d’approcher et l’emmena vers leur petite table à l’allure caustique et simple qu’il avait préparé expressément pour eux. Le tout était coquet et convivial, chaleureux et doux.

-Yuto....Yuto c'est...

Le concerné sourit, heureux de voir cette expression d’ébahissement sur son visage. Il rayonnait et ça lui donnait du baume au cœur. La première partie de la soirée était réussie, plus qu’à faire le reste et espérait que ça se passe aussi bien. Pour l’instant c’était merveilleux, la façon dont le médium se jeta sur lui en fut la preuve même. Ils allèrent s’installer à table après s’être remercié l’un l’autre comme il faut et posèrent la petite dans son landau tout près d’eux, sur une troisième chaise. L’ange s’amusait beaucoup de voir ses yeux pétillait et ce sourire sur son visage.

-C'est quoi le menu ?
- Alors ce soir tu auras droit à de la salade avec du jambon et du fromage sur une tartine de pain grillé en entrée, puis du riz avec des crevettes ou du poulet grillé, des légumes autant que tu en souhaites, de la soupe miso en plat principal et enfin en dessert du fondant au chocolat…si tu arrives jusque là.

Il lui fit un petit clin d’œil et ouvrit les cloches contenant leur repas encore fumant et commença à leur servir l’entrée.

-Ca me fait tellement plaisir..
- Moi aussi, ça me fait plaisir que ça te fasse plaisir.

Il remit la cloche en place et servit le jeune homme en vin rouge dans la petite coupe devant son assiette alors que celui-ci regardait autour de lui.

-J'aimerais tellement redonner vie à cet endroit...Si tu savais... C'était vraiment un endroit magique, comme si tout était possible.
- C’est amusant que tu en parles…

Yûto reposa la bouteille, remit grossièrement le bouchon dessus et s’accouda à la table, fixant son petit-ami dans ses yeux.

- Figures-toi que…j’aimerai redonner vie à cet endroit. Mais pour ça je vais avoir besoin de l’aide d’un professionnel…tu peux me dire où je peux trouver un magicien compétent dans les environs ?

L’ange dû presque se boucher les oreilles après avoir dit de tels mots. C’était comme si Ren était un vieux jouet dans lequel on venait de remettre des piles neuves. Il était si excité à bouger partout que le professeur se demanda s’il arriverait à manger un jour. Pourtant il ne se lassait pas de le voir sourire et s’emballer ainsi, signe que la deuxième partie s’était bien déroulée. Il avait vraiment envie de rénover ce cirque. Bon ok c’était à 90% pour le magicien qu’il le faisait, mais d’un seul coup ce projet lui plu pour autre chose. Il avait envie de se lancer là-dedans, prouver qu’il s’en sortait très bien dans le monde humain, qu’il pouvait créer des choses à la force de ses mains. Etre un vrai Homme, et pas seulement un ange déchu.

Quand enfin le médium se fut calmé, ils commencèrent à manger tout en parlant de ce qu’ils pourraient faire, ce qu’il fallait impérativement changer, qui ils pourraient appeler pour les aider (Yûto comptait employer de la main-d’œuvre pour la rénovation, incluant les deux démons. Après tout comme ils le disaient eux-mêmes, un accident était vite arrivé ! sur un champ de construction encore plus !).

Le plat arriva, enfin arriva…le plus vieux avait fait exprès de faire à manger dans des gros récipients, si bien qu’ils piochaient dans le même, rendant le tout plus agréable. Ils passaient leur temps à se regarder et à se sourire comme deux ados, ce qui était un peu le cas. Inutile de dire que tous les plats jusque là furent finis, les deux ayant un appétit d’ogre. Il débarrassa les plats, les mettant par terre pour laisser la place au gâteau. Il ouvrit une bouteille de champagne dont il remplit leurs deux coupes et là…ce fut le dilemme. La seule chose qui bloquait dans tout son plan. Il ne savait pas comment s’y prendre pour le surprendre : juste le lui tendre ? Comme une solution à ses angoisses, Maki fit tomber sa couverture par terre.

- Tu peux la ramasser pendant que je coupe le gâteau ?

Parfait, c’était parfait. Alors que le jeune homme se penchait par terre, la tête bien en-dessous de la table, Yûto en profita pour sortir la petite boite en velours écru de sa poche et l’ouvrit, la posant entre le verre et l’assiette à dessert du médium, tourné vers lui. Ensuite il attendit avec anxiété que le magicien se relève et la voit…
Paniquant comme jamais auparavant, il se dépêcha de lui prendre la main par-dessus la table et de le fixer sérieusement, le corps tremblant de la tête aux pieds. C’était la première fois qu’il faisait ça et il l’espérait, la dernière.

- Je…J’ai préparé tout un discours et…je ne m’en souviens pas. Stupide pour un prof de théâtre non ? Enfin…L’important c’est…que je t’aime, je t’aime tellement que je trouve ça irréel. Je ne regrette pas d'être là avec toi. Et je sais que je t’aimerai toute ma vie, quoiqu’il puisse arriver. Je veux être là chaque jour de ta vie, dans la joie comme dans la douleur. Je veux voir grandir notre fille avec toi, je veux réaliser tes rêves les plus fous. Je veux que tu sois le plus heureux des hommes que cette Terre n’ait jamais connus. Je ne sais pas si ce que je vais faire va contribuer dans ce sens mais…je vais le faire.

Il prit l’écrin qu’il plaça dans la main du plus jeune, qu’il tenait toujours. Se mordant la lèvre, il se jeta enfin à l’eau.

- Veux-tu faire de moi le plus heureux des anges et accepter de m’épouser ?

Il savait que remettre sur pied le cirque serait une tâche coûteuse, mais surtout longue et pénible. Il fallait trouver l’argent, le temps, la force et les bras pour ça. Un salaire de professeur n’était pas suffisant et les représentations de Ren étaient trop irrégulières pour compter vraiment dessus. Il ne restait plus qu’à économiser chaque semaine et trouver un autre travail. Yûto pensait travailler de temps en temps le soir, dans un restaurant ou un konbini. Ce serait pas mal pour renflouer un peu les caisses non ? Mais bien sûr il ne proposa pas ça tout de suite au jeune homme excité en face de lui parce qu’il savait que ça ne lui plairait pas et la soirée était trop belle pour qu’on la gâche. Alors il le laissa parler tout seul jusqu’à ce qu’il se calme.
Le plus dur arriva : faire sa demande. C’était plus horrible au niveau des nerfs que d’affronter des anges. Et on peut dire qu’à ce moment-là Maki lui sauva la mise. En faisant tomber sa couverture elle lui donna une excuse pour que le médium quitte la table des yeux quelques instants, lui permettant de poser l’écrin devant son assiette. Anxieux, il le regarda se redresser et poser son regard dessus, ses yeux formant deux billes énormes sur son visage.

-Yu...Yuto ?

Il se leva comme s’il était posé sur un ressort et vint se placer près de lui, lui tenant la main avec un air sérieux, angoissé, inquiet et peureux. Passé les premiers mots, le reste vint tout seul. Il eut même peur de trop parler, de faire traîner les choses ce qui déplairait au magicien, surtout s’il n’était pas d’accord avec cette idée. Mais il mettait tellement de ses sentiments dans ces mots qu’il n’arrivait pas à s’arrêter. C’était l’occasion de lui montrer, de lui dire à quel point il l’aimait alors il voulait en profiter. Oh non, des larmes ? Ça le rendait triste ? Il voulait peut-être qu’il arrête ? Que faire ? Trop tard, il avait déjà pris l’écrin dans ses mains pour le placer dans la sienne, qu’il tenait toujours. Il devait aller jusqu’au bout. Alors il prononça LA phrase qui clôturait tout, celle qu’il avait si peur de dire.

-Oui.

Il n’avait même pas eu le temps de s’inquiéter de sa réponse qu’elle était déjà là ! Même pas le temps de souffler, rien du tout. Comme si Ren attendait ça depuis des semaines ! Peut-être était-ce le cas après tout…en tout cas son bonheur était flagrant, et celui de l’ange aussi. Il l’accueillit dans ses bras, rigolant et les larmes aux yeux. Oui, il pleurait. Ce n’était pas courant, voire très rare mais là c’était le cas. Il était si heureux que même une armée d’anges ne l’aurait pas rendu triste ou inquiet.

- Bien sur que je le veux ! Oh mon ange...Tu ne peux pas savoir combien je suis heureux avec toi ! Je n'aurais jamais cru connaître ca un jour...Tu es vraiment mon sauveur. Je t'aime, je t'aime tellement.

C’était comme si un énorme poids qui se trouvait sur ses épaules venait de disparaitre. Il se sentait léger et ce fut avec un immense sourire qu’il enfila la bague au doigt du plus jeune, n’y croyant pas. Lui, un être divin, faisait ce geste purement humain. N’était-ce pas fou ? Et, comme si c’était très bien programmé, la pluie d’étoiles filante fut visible dans le ciel.

-Ouah...C'est la nuit des étoiles filantes !
- Oui, le 10 août. Fais un vœu mon amour.

Le sien fut le même que celui qu’il faisait depuis leur rencontre : que Ren vive le plus longtemps possible, et heureux. Il ne voulait que ça, rien que ça…et pourtant c’était le vœu le plus difficile à réaliser. Peut-être pas si difficile, si on avait beaucoup d’espoir en retour. Mais en quelque sorte Yûto comptait sur ces vœux. Il s’assit sur une des chaises et le fit s’assoir sur ses genoux, entourant sa taille de ses bras et posant sa tête sur son épaule alors qu’ils regardaient ce magnifique spectacle dans le ciel.

-Tu as déjà pensé à un endroit ?

Le professeur sourit doucement. Comme d’habitude le médium allait beaucoup trop vite quand il était heureux de quelque chose. Et sincèrement, il n’arrivait pas à le lui reprocher. Il préférait le voir désordonné, excité, insupportable à ne pas tenir en place mais heureux que calme et triste comme les pierres.

- Hokkaido.

Dit-il tout simplement. A vrai dire il n’y avait pas encore réfléchi mais, sans savoir pourquoi, c’était le seul lieu qui lui était venu à l’esprit à ce moment-là. Hokkaido. Pourquoi ? Il ne savait pas, mais il se dit ensuite que retourner au Japon ferait sûrement plaisir au jeune homme. Et pour cause, il lui broya presque les genoux et les cuisses à se trémousser joyeusement sur lui comme un gosse de 5 ans ! Mais Yûto supporta. Pourquoi ? Encore la même raison. Ren était heureux et il ne ferait jamais rien pour stopper ça. Ce visage lumineux, ce sourire et ces yeux pétillants de bonheur. De la douleur ? Il n’en ressentait plus et au contraire serra un peu plus le plus jeune contre lui, nichant sa tête dans son cou.
Ce comportement enfantin lui rappelait le petit garçon qu’il avait sauvé 19 ans plus tôt, souriant, plein de vie, de grands yeux noisette et des cheveux en bataille. Une bouille magnifique et malgré qu’il ait frôlé la mort, il n’avait pas pleuré. Plein de courage, voilà ce qu’il avait pensé en le voyant. Et gentil. Il n’avait pas hésité à le remercier en lui donnant sa peluche. Un autre enfant serait parti en courant pour aller retrouver sa mère mais lui non. Il l’avait remercié en lui donnant ce qui lui tenait le plus à cœur à l’instant. Un ourson qu’il avait toujours au fond de ses affaires dans l’appartement, ce qu’au passage Ren ne savait pas.

Enfin bon, il réussit à couper le gâteau comme il pouvait malgré le jeune homme sur ses genoux et finit par le virer, Maki s’étant réveillée et demandant à manger. Il la prit dans ses bras et lui donna le biberon tout en la berçant tranquillement, regardant avec bienveillance le magicien manger à pleine bouchée avec un air d’enfant heureux. Le cœur gonflé d’amour, il n’arriva à dire que ces mots :

- Je t’aime.

Ren était déjà en train de s’emballer, lui demandant qui ils inviteraient, quand, où, etc. C’était amusant à entendre. Lui aussi pensait à sa classe, quelques profs et puis des amis du médium. Yûto n’avait que peu de relations alors ça ne viendrait forcément pas de lui.

-Désolé....je vais surement trop vite.

L’ange rigola un peu et lui fit un bisou sur la joue.

- Un peu oui, mais ce n’est pas grave. Continue.

Il le regarda amoureusement jusqu’à ce que Maki se réveille et réclame sa part du gâteau, gâteau d’ailleurs que le magicien commença à manger avec appétit au grand bonheur du plus vieux. C’était amusant de faire le contraste entre le bébé et lui parce que justement, il n’y avait pas tellement de différence au final !

-C'est délicieux ! Qui a préparé tout ca ?
- C’est…moi et pas moi. Tu t’en doutes bien, je me suis fait aider…

Il rougit, un peu honteux d’être aussi nul en cuisine. Le professeur le regarda manger et, dans sa contemplation, se confessa encore une fois. Ce n’était pas voulu, pas réfléchi et sortit tout seul.

-Je t'aime aussi, mon ange.

Il sourit comme un enfant heureux et mangea un peu lui aussi du très bon gâteau au chocolat. Peu de tems après le bébé se rendormait et Ren retrouvait sa place sur ses genoux, le faisant frissonner rien qu’avec un petit contact léger. Yûto le regardait sans rien dire, comme hypnotisé.

-Il va sans dire que je te réserve une belle surprise pour notre lune de miel.

Ah non, il ne fallait pas faire de telles promesses au jeune homme sans être sûr de les tenir ! D’ailleurs son regard qui dévorait le médium le montrait bien. Quelle idée de lui dire ça, alors qu’ils étaient seuls, dans la quasi-obscurité, assis l’un sur l’autre…

-Pervers.
- Maieuuuh.

Il fit une petite moue mignonne et décidé qu’il était temps de rentrer. Prévoyant de revenir le lendemain pour tout ranger, il se contenta de prendre le bébé et de passer ses bas autour des épaules du plus jeune pour le ramener à la voiture. Ren s’endormit rapidement une fois qu’ils furent partis et l’ange dû le réveiller quand ils arrivèrent chez eux, ne se voyant pas porter Maki et le magicien à la fois. Heureusement il fut assez réveillé pour monter tout seul les 3 étages et aller se coucher. Enfin, en arrivant dans la chambre après avoir couché la petite il vit bien qu’il n’avait pas pris le temps de se changer et le fit pour lui, puis se coucha à ses côtés en le prenant dans ses bras pour le serrer contre lui.

-C'est toi mon étoile filante, Yuto <3

L’ange sourit, pas certain de savoir ce que ça voulait dire. Est-ce qu’il entendait étoile filante par : va disparaitre dans peu de temps en lui laissant juste un peu d’espoir ? Parce que c’était ainsi que Yûto voyait les étoiles filantes. Quelque chose d’éphémère. Et il espérait sincèrement que ce ne soit pas ça, que pour lui il ne soit pas quelque chose ou quelqu’un d’éphémère qui partira dans quelques instants pour le laisser tout seul avec juste un vœu. Il voulait être une simple étoile, ou son étoile du Nord. Pour le guider partout où il ira, sur la terre comme au ciel. Oui, voilà ce qu’il voulait être pour lui et ce qu’il espérait qu’il voit en lui. Le jeune homme s’endormit quelques temps plus tard, la main du plus jeune étroitement liée à la sienne.

(…)

Le lendemain matin commença lentement. Déjà, comme par magie, Maki n’avait pas été trop exigeante et embêtante cette nuit-là donc ils avaient pu dormir un peu plus longtemps. Ils étaient donc encore dans le lit vers 9h30 du matin et, une fois qu’ils eurent ouvert les yeux, ils ne bougèrent pas plus qu’avant, se regardant en souriant. Yûto faisait glisser ses doigts sur ses épaules et son cou, saisissant cet instant inestimable de complicité et de tendresse. Le temps passa au ralenti si bien qu’ils ne se rendirent pas compte qu’il était tard.

- On devrait se lever non ?

Même s’ils étaient d’accord là-dessus, ils mirent un temps fou à sortir du lit. Mais ils réussirent et Ren alla s’occuper de Maki pendant que l’ange préparait du café et allait acheter du pain et des croissants pour cette matinée familiale. Quand il revint le bébé était propre et nourrit donc ils petit-déjeunèrent tranquillement, sans histoire, discutant de tout et de rien mais surtout de rien. Yûto priait pour qu’ils aient souvent des matins de ce genre, avec cette impression que rien ne pouvait leur arriver, qu’ils seraient ainsi toute leur vie et qu’il y avait entre eux la plus merveilleuse des communions. Un parfait respect de l’autre et de la confiance.

Le professeur lui proposa un bain, tout à fait innocent même si la tentation était forte, et là encore ils passèrent un très bon moment, tout en surveillant leur fille du coin de l’œil. On sentait tout de même cette différence à présent. Que Maki était là et qu’il fallait faire attention à elle à chaque instant. Après un bon bain et une mini bataille d’eau et de serviettes, ils sortirent de la salle de bain et s’installèrent sur le canapé.

- Il faudra passer au cirque tout à l’heure, pour tout ranger quand même. Après il faudra commencer à se renseigner sur ce qu’on peut faire pour remettre tout ça sur pied. On fera une liste de tes contacts ?

Ça faisait longtemps qu’ils n’avaient pas dormis tous les deux ensemble comme ça. Généralement l’un d’eux devait s’occuper de Maki la nuit et était trop fatigué, et Yûto travaillait tôt le lendemain. Donc il profita à sa juste valeur de ce moment intime au lit. Comme il profita de son petit-déjeuner puis de son bain en tête à tête avec le jeune homme, tout en surveillant le bébé bien sûr. Pas question qu’il mette de côté son rôle de nouveau parent tout ça pour avoir un moment de tranquillité. Il allait devoir apprendre à associer les deux à présent…

Le reste de la matinée se passa lentement et se termina sur le canapé, tranquillement, alors que l’ange abordait le sujet du cirque et de sa rénovation. Ce n’était pas un sujet fâcheux, bien au contraire. Et ils devaient s’en occuper rapidement et vu qu’ils étaient reposés, c’était l’idéal non ?

-Ah oui ! Je suis sur que les anciens membres seront ravis d'aider, et j'essaierai de trouver des nouveaux artistes via l'agence, qu'est ce que tu en penses ?
- C’est une bonne idée, et si on peut trouver quelques sponsors en passant…

Alors que le plus jeune pensait aux artistes et comment remplir le cirque, Yûto pensait lui à la partie finance du projet. Et au fond, leur couple était équilibré à cause de ça. Chacun pensait à une partie du problème et trouvait une solution différente, mais qui se complétait. Après avoir rapidement petit-déjeuné, ils confièrent leur enfant à la voisine qui prenait de plus en plus de plaisir à la garder (comme une grand-mère vu que ses enfants ne venaient plus la voir) et prirent la voiture en direction du cirque.

En chemin Ren appela tous ses contacts et l’ange fut surpris d’apprendre après que la plupart les rejoindraient sur place. C’était incroyablement chanceux et généreux de leur part de leur accorder de leur temps ! La plupart étaient sûrement bien occupés dans leur vie professionnelle et personnelle…En arrivant les 3 seules personnes présentes pour l’instant connaissaient bien sûr toutes le médium. Le professeur enregistra leur visage et leur nom, surtout celui de celui qui semblait donc être le beau-père de son petit-ami. Ce dernier ne semblait pas beaucoup l’apprécier, ou du moins se méfiait-il. Il savait qu’il aurait à avoir une conversation avec lui d’ici peu. Mais ça ne lui faisait pas peur, des tas d’humains devaient faire ça avant le mariage non ? Affronter le père de famille…enfin généralement ça concernait les jeunes femmes mais Yûto ne le fit pas paraitre sous cet angle là pour ne pas contrarier le plus jeune qui semblait vraiment heureux d’avoir retrouvé ses amis.
Chacun était venu avec ses idées de rénovations propres, ce qui faisait un total de 5 points de vue différents à discuter.

- Bon je vous propose d’aller s’assoir quelque part et de noter toutes les idées de chacun, puis d’en discuter ensemble pour voir celles qu’on retient ou pas. Ça vous va ?

Ça allait à tout le monde bien sûr, Yûto était une tête pensante et rationnelle, enfin tout le monde sauf au beau-père…Celui-ci le regarda fixement puis se rapprocha de lui, son haleine de tabac lui donnant un peu envie de vomir.

- J’aimerai vous parler un instant, c’est possible ?
- Bien sûr.

L’ange le suivit sans crainte derrière une roulotte, ce n’était pas comme s’il était vulnérable non plus hein, et le regarda sans ciller dans les yeux.

- Alors vous êtes le « fiancé » de Ren ?
- Oui, depuis hier soir.
- Oh, c’est tôt. Vous vous connaissez depuis… ?
- Quelques mois.
- Et vous êtes… ?
- Tsukushi Yûto, 25 ans, 1m71 pour 60 kilos, professeur de théâtre au lycée, revenu stable, salaire correct, pas d’antécédents familiaux, pas de problèmes de santé. Orphelin. Je respecte Ren et j’ai juré de ne lui apporter que du bonheur. Sinon je ne lui aurai pas demandé de m’épouser. Je suis si sérieux avec lui que nous avons adopté un enfant ensemble. D’autres questions ?

L’homme semblait un peu déstabilisé par toutes ces informations. Il ne s’attendait sûrement pas à ce que le professeur lui en dise autant sans qu’il ait besoin de le forcer à le faire. Yûto voulait paraitre le plus honnête et humain qui soit, l’avenir de leur collaboration en dépendait !

- Pas d’autres questions, merci. J'espère que vous honorerez la mémoire de sa défunte mère en prenant soin de lui.

Ils retournèrent vers les autres et le jeune homme fit un baiser rapide sur la joue de son petit-ami, lui signifiant que ça c’était bien passé. En même temps en si peu de temps, il avait eu de quoi s’inquiéter. Ils trouvèrent des chaises et s’installèrent sur la petite table débarrassée de la veille, tenant à peine à 5. L’ange prit un stylo, une feuille blanche et releva une à une les idées de chacun, ce qui prit bien une bonne demi-heure vu qu’ils avaient tous tendances à s’emporter rapidement et défendre leurs idées comme une mère avec son enfant. Dans tout ça le jeune homme n’avait parfois même pas le temps d’en caser une et ne faisait que soupirant, écrivant à toute vitesse. Enfin, au bout de longues minutes de labeur, ils réussirent à s’arrêter et le laisser respirer et surtout détendre sa main ankylosée à force d’avoir trop écrit.

- Bon alors l’idée principale qui revient c’est : reconstruction matérielle : des amis ouvriers, des anciens amis qui travaillaient ici, des saltimbanques pour aider, et surtout trouver de l’argent pour financer tout ça. Ensuite on verra au niveau des décors, des emplacements, des ouvertures, etc. Donc si on résume : les contacts. Ça vous va ?

Il se tourna vers son petit-ami.

C’était bizarre d’avoir cette conversation mais il ne se fit pas plus de souci et en ressortit aussi à l’aise qu’en arrivant, rassurant tout de suite son petit-ami d’un baiser sur la joue. Une fois ça fait, il pu se concentrer sur le boulot qu’ils avaient à faire, et surtout les décisions à prendre pour que leur projet aboutisse quelque part. Pour cela il emmena tout le monde s’assoir à la petite table et s’occupa de prendre en note tout ce que tout le monde disait, ce qui était un boulot monstre vu qu’ils n’avaient pas pour habitude de se laisser parler les uns les autres ! Mais il réussit tout de même à faire un résumé de cette presque heure et demanda à tout le monde si ça leur convenait.

- Oui, chef !

Yûto lui tapa gentiment l’arrière de la tête en rigolant avec les autres puis ils se mirent au travail. Chacun était chargé de contacter des personnes qui pourraient les aider au niveau financier et communication. L’ange, lui, décida de s’occuper des banques, au niveau des prêts. Malheureusement de son côté ce n’était pas la joie, contrairement aux autres qui trouvaient de l’aide facilement. On ne voulait pas leur prêter d’argent pour un projet « aussi bateau » avait dit la conseillère, ce qui ne l’arrangeait pas. Même en réunissant tout, ils n’auraient pas assez. Il leur fallait cet emprunt mais il décida d’attendre que la construction du cirque soit un peu plus importante pour en reparler à la femme. Si elle voyait que ça prenait de l’ampleur et que ça en valait le coup, alors elle lui ferait ce prêt donc il avait besoin.

Dans la soirée ils se séparèrent et les deux jeunes gens allèrent récupérer leur fille. Le professeur s’occupa d’elle pendant que Ren préparait leur dîner et, après ¼ d’heure à pouponner le bébé et à le coucher, il revint à la cuisine, surpris de le trouver si pensif. Non pas qu’il ne l’était jamais, mais ça ne présageait rien de bon. Il préférait quand cet air soucieux se trouvait sur son propre visage et pas le sien.

- Hey.

Fit-il en lui enserrant la taille de ses bras, baisant rapidement son cou.

- Il y a un truc dont on doit parler... le jeune homme se mordit la lèvre... J'aurais préféré oublier mais c'est ...c'est important.

Qu’est-ce qu’il disait ? Encore une mauvaise nouvelle, un événement fâcheux, un sujet qu’il ne voulait pas abordait…Mais il voyait dans ses yeux que cette conversation, ils devaient l’avoir. Peu importe ce qu’elle était, il était obligé d’en parler avec lui.

- Promets moi de continuer à etre heureux quand je ne serais plus la...
- Non Ren…pas ça...

Pourquoi parler de ça maintenant ? Il ne voulait vraiment pas y penser, vraiment pas du tout. Ça lui faisait mal de se dire qu’il partirait et que lui resterait derrière. Et au fond, il savait qu’il ne s’en remettrait jamais, qu’il ferait semblant d’aller bien mais que ça ne serait jamais le cas. Continuer à être heureux ? Il ne l’était pas avant de le rencontrer, sans lui il ne le serait plus jamais. Il le serait pour sa fille, bien sûr, mais elle partira aussi alors il ne serait plus rien. Comment promettre une chose impossible à réaliser ?

- Quand...Quand ca commencera...j'aimerais rester ici... je ne veux pas finir mes jours seul entre les quatre murs d'un hopital.

L’ange le serra contre lui, sur le point de craquer. Il se rappelait au tout début à l’hôpital, quand il l’avait vu mourir sur la table d’opération alors que les médecins avaient abandonnés. Il ferma les yeux très fort.

- Je ferai en sorte que tu restes ici, je serai là pour toi.

Ça il pouvait le lui promettre, évidemment. Il pensait qu’avec ça ce serait fini, qu’enfin ils pourraient reprendre leur soirée normalement…mais le médium le choqua encore plus.

- Et...j'aimerais être enterré à coté de ma mère...derrière le cirque.

Le professeur se paralysa, n’arrivant même pas à sortir un seul mot. Une larme coula sur sa joue et tomba sur l’épaule du plus jeune. Il s’écarta finalement de lui et fronça les sourcils en le regardant.

- Je ferai ce que tu voudras. Tout ce que tu voudras.

Il sortit rapidement de la cuisine et fit semblant d’aller chercher un truc dans leur chambre. Là, il s’assit sur le lit et prit sa tête entre ses mains. Ça lui faisait bizarre de se laisser aller ainsi, il était du genre à ne jamais montrer ses sentiments. Mais là c’était trop dur à supporter, se dire qu’il allait mourir, bientôt. Il avait tout fait pour écarter cette réalité, pensant que s’il n’y accordait pas d’attention, ça n’arriverait pas de sitôt. Mais que le magicien en parle comme si ça allait arriver d’un jour à l’autre, prenant des précautions sur les conditions de sa mort et l’après…C’était trop dur pour lui. Il serait tout seul à la fin, sans rien, juste une tombe dans un cirque et des souvenirs gravés dans sa mémoire à jamais. A moins de devenir amnésique. Non, il voulait se souvenir de lui. Il ne voulait aimer personne d’autre, il ne le pourrait pas. Si lui pleurait maintenant, qu’est-ce que ça devait être pour Ren ?

Il ne se rendit compte de sa présence que quand le jeune homme s’assit à côté de lui sur le lit et Yûto se laissa aller dans ses bras.

- Je ne veux pas que tu t’en ailles, j’aimerai que tu sois toujours avec moi…reste avec moi. Ne me laisse pas ici, tout seul…j’y arriverai pas.

Il se faisait pitié à lui-même et au fond il savait que tout ce qu’il disait ne servait à rien, mais il fallait que ça sorte. Ces paroles étaient le résultat de semaines à ne rien laisser paraitre, à se retenir alors que rien ne se passait comme il le voulait. L’hôpital, le Maire, ses pouvoirs, la fatigue…trop de stress, trop de choses malheureuses qui leur arrivaient…

- J’aimerais être un humain.

Parler de tout ça c’était comme…prendre un couteau, le planter au niveau de ses clavicules et faire descendre la lame jusqu’à sous son nombril, sans hésitation. L’ouvrir en deux. Déchiré comme jamais auparavant, il fondit en larmes à peine arrivé dans la chambre. Il s’était toujours promis de ne jamais craquer devant personne, et surtout pas devant le jeune homme. Il était là pour le protéger, le rassurer…qu’allaient-ils devenir si même lui s’effondrait à la moindre mauvaise nouvelle ? On pourrait mettre ça sur le compte de la fatigue, des épreuves, et ce serait en effet plus logique, mais lui pensait juste que c’était une faiblesse qu’il devait cacher et corriger. Ne pas céder sous la pression, jamais. Etre fort. Pourtant là, quand Ren vint s’assoir près de lui et le prendre dans ses bras, il fut tout sauf fort. Une vraie loque, un amas de larmes et de suppliques inutiles. Le médium ne pourrait pas rester, lui le savait mieux que personne.

- Peut etre qu'il existe une sorte de potion, ou quelque chose comme ca, qui pourrait me donner l'immortalité à moi aussi...Il rit doucement, un rire mouillé. Mais tu sais, d'une certaine facon je suis heureux....Parce que si ce n'était jamais arrivé je n'aurais pas été avec toi aujourd'hui.

Ce n’était pas totalement faux, mais pas totalement vrai non plus. Peut-être qu’ils auraient pu se connaître autrement, sans la maladie qui trônait comme une épée de Damoclès au dessus de la tête du plus jeune. On ne savait rien de ce qui aurait pu être mais ce qui était certain pour Yûto, c’était ce qui allait se passer dans quelques années. Il refusait cette réalité, s’il n’en parlait jamais c’était justement pour ne pas la rendre plus réelle qu’elle ne l’était déjà.

- Je...je sais que tu seras merveilleux...Et quoi qu'il arrive, je veillerais sur toi...

Pourquoi dire ça ? Ça devait être l’inverse ! C’était à lui de veiller sur le magicien ! Pas le contraire ! C’était impensable, impensable…Il aurait tout fait pour que les rôles s’inversent vraiment, ou qu’il soit d’une toute autre nature…un humain. Son souhait sortit tout seul de sa bouche, en même temps que celui de Ren, similaire au sien. Ils voulaient tous les deux être de la même nature que l’autre, mais ne le pourraient jamais n’est-ce pas ? Ou…

- Si ça se trouve…si…ça pourrait être possible…que tu deviennes un ange…

Après tout, est-ce que Dieu ne choisissait pas ses anges parmi les humains morts de temps en temps ? Mais bon, il y avait peu de chance que le médium passe de mort à ange, voire elles étaient carrément nulles…pourtant il aurait aimé que ça se passe ainsi…

Il se blottit un peu plus contre lui et commença à somnoler alors qu’ils restaient simplement là, à se bercer tout en se calmant et se rassurant silencieusement. Maki se réveilla un peu plus tard, quémandant leur présence et le professeur commença à se lever jusqu’à ce qu’il se sente repoussé sur le lit. Fronçant les sourcils, il questionna du regard son petit-ami.

-J'ai bien vu combien tu étais épuisé...Je viendrais te réveiller quand le repas sera prêt, d'accord ?
- C’est stupide, je suis en pleine forme.

Faux, évidemment. Et Ren n’eut presque rien à faire pour le forcer à rester allongé. Depuis quand était-il si fatigué ? Le fait qu’il s’endorme à peine quelques secondes après que le jeune homme soit sorti de la chambre lui donna aussi raison. Un profond sommeil s’ensuivit automatiquement, jusqu’à ce qu’il se réveille quelque part…devant le cirque.

Oui, c’était le cirque, il le reconnaissait bien. Seulement les chapiteaux étaient en cendres, les roulottes tombées à terre, il n’y avait plus personne, plus un chat, ça sentait le brûlé si bien que le vent plein de poussière lui piqua les yeux. Une larme coula le long de sa joue et s’écrasa sur son bras. Il baissa alors les yeux sur ses bras repliés qui tenaient une fillette. La peau mate, les yeux clos, un visage d’ange et une jolie robe blanche, elle était à présent sans vie. Sa tête retombait sur le côté et à la petite cicatrice vers sa tempe il reconnu Maki. Elle se l’était faite le jour de l’accouchement, il s’en souvenait très bien. Une vague de panique le prit et il tenta de la réveiller. La posant au sol, il lui fit bouche à bouche, massage cardiaque, la totale…mais rien, elle ne vivait pas. Et il avait beau appeler à l’aide, appeler Ren, personne ne l’entendait. Complètement abattu, il reprit l’enfant d’à peine 10 ans dans ses bras et continua à avancer dans les ruines et les cendres du cirque. Les larmes coulaient toujours sur ses joues, il ne voyait rien, il appelait juste son petit-ami en vain. Arrivé vers l’arrière du cirque, il distingua au loin deux pierres grises, jolies et neuves apparemment. Elles brillaient grâce au seul rayon de soleil qui perçait le nuage de poussière grise. Il s’approcha doucement, séchant ses larmes et essayant de distinguer ce qu’il y était écrit.

Ce qu’il lu sur la jolie pierre érigée lui fit l’effet d’un coup de couteau dans le cœur, milles brûlures, pire que toutes les tortures possibles et inimaginables. En doré il y avait écrit le nom de son petit-ami et la date de sa mort. Ça datait d'’il n’y a pas longtemps, enfin ils semblaient être en 2021. En tout cas c’était la date inscrite : 2021, en dessous de "Manobu Ren". Ren était mort, parti…sans lui. L’ange tomba à terre sur les genoux, le visage baigné de larmes et déposa le corps sans vie de la petite fille sur la sépulture et, sans pouvoir se retenir, poussa un long cri déchirant suivit d’un bruit d’ailes qui se déployaient autour de lui.

Ses paupières s’ouvrirent alors qu’il criait toujours sa douleur et sa peine, son dos lui faisait si mal qu’il aurait voulu couper sa peau et en voulant se retourner il sentit ses ailes derrières lui. La seule différence avec ce cauchemar horrible, c’était la présence bien vivante de Ren à ses côtés…

Il ne comprenait pas pourquoi son corps refusait de lui répondre. Une punition ? En tout cas c’était vraiment désagréable de se sentir cloué au lit à ne rien faire alors que votre petit-ami devait se lever pour aller s’occuper d’une personne dont vous deviez vous occuper à sa place. Oh bien sûr il tenta plus d’une fois de se lever, mais en vain. Tout ce qu’il pouvait faire c’était se traîner, rouler sur le côté et tendre les bras pour attraper. De rage il avait enfoui sa tête dans l’oreiller jusqu’à ce qu’il vienne le rejoindre avec une telle délicatesse que le magicien devait croire qu’il dormait. Mais comment faire avec ce tiraillement dans le dos et cette culpabilité ?

L’ange se doutait bien que pour lui, le médium se serait privé de nourriture. Et ça ne manqua pas évidemment. Alors comme ils étaient affamés tous les deux ils décidèrent de manger et là encore, ce fut encore à Ren de se lever pour aller chercher à manger alors que lui se tuait à l’effort que représentait se redresser et s’assoir dans le lit, dos contre l’oreiller et le mur.

- je t'ai fait ton plat préféré.

Yûto lui sourit un peu pour faire passer la désagréable sensation à l’intérieur de sa bouche. Plus il agissait comme ça et plus il lui donnait l’impression d’être nul à côté. Il essaya de rattraper le coup en essayant de manger tout seul…mais il ne fit qu’essayer, parce qu’il n’y parvint pas. Pourquoi ? C’était juste porter une cuillère à sa bouche ! Mais la douleur dans son dos se propageait dans ses bras et il avait l’impression d’avoir fait 6 heures de muscu non stop tellement il était engourdi. Le professeur faisait tout pour paraître bien mais ça ne trompait plus personne, ni lui ni le médium. Il était accablé de doute et cassé moralement en plus de physiquement. Comment s’occuper de la petite fille s’il hurlait à en mourir chaque soir et se réveillait le lendemain avec une telle douleur dans le dos ? C’était inconcevable d’élever un enfant ainsi.

-Tu es merveilleux...je te jure que tu es un père merveilleux, quoi qu'il arrive, tu y arriveras...Et on trouvera un moyen d'arranger ca....tu peux me croire...Pour l'instant je suis la, ne t'inquiètes pas.

Pour l’instant oui…Il ne répondit pas parce qu’il savait qu’en ce moment seules des paroles pessimistes sortaient de sa bouche et que le magicien n’avait pas besoin d’entendre ça, lui qui était si instable. A la place il se laissa faire et se recoucha comme il pu dans le lit, passant avec un peu moins de difficulté qu’avant ses bras autour de sa taille.

-Je suis tellement désolé...c'est de ma faute, je n'aurais pas du parler de ca...

Il secoua négativement de la tête.

- Non, on devait en parler. Je suis trop faible c’est tout.

Le jeune homme déglutit difficilement. C’était ça n’est-ce pas ? Il faisait tout pour paraitre et être fort mais au fond, il n’était qu’un ange déchu, pas mieux qu’un humain voire pire. Si seulement il n’y avait pas ce stupide trouble bipolaire…

-Je t'aime tellement...tu le sais ? On va se marier et vivre heureux jusqu'au bout...D'accord ?
- Je ferai tout pour que tu sois heureux Ren.

Mais là encore ce n’était sûrement pas la réponse qu’il attendait de sa part. Il savait bien que dans la tête du médium cette phrase voulait dire : je te fais passer avant mes problèmes, mes douleurs et mes souffrances. Ce que bien sûr le magicien ne voulait pas. Mais Yûto n’arrivait pas à mentir en disant : oui, on va se marier et vivre heureux tous les deux jusqu’au bout…parce que lui, au bout, ne pourra jamais être heureux.
Il ferait tout pour être un bon mari c’est clair, mais un bon père…il pensait que peu importe ses efforts, ça ne serait jamais assez. Alors il ne répondit pas. Ne souhaitant pas contrarier son petit-ami à cette heure de la nuit mais surtout parce qu’il n’avait rien à dire. Dans la tête de Ren c’était chose acquise, il ne le voyait pas autrement que comme un bon père et un bon mari. Peut-être qu’au fond, il le surestimait un peu trop. Voire juste trop.

Le jeune homme écarta un peu son visage de sa poitrine et vint frôler ses lèvres des siennes avant de l’embrasser doucement, puis plus langoureusement. Ça lui fit un bien fou, comme un antidote temporaire face à la douleur. Il approfondissait le baiser lorsqu’il sentit ses mains passer dans son dos et une sourde douleur le transperça de part en part. Essayant de cacher que ça lui faisait mal, il ne pu retenir un gémissement.

- Ce n’est rien, je vais bien.

Il lui caressa le dos jusqu’à ce qu’il s’endorme et attendit que la douleur s’en aille un peu pour faire de même.

(…)

Il se réveilla bizarrement avant lui et comme il se sentait d’attaque pour bouger, il s’y essaya. Yûto roula sur le côté jusqu’au bord du lit, puis réussit à se mettre en position assise et posa ses pieds au sol. Bon jusqu’à ça allait. S’accrochant à la table de chevet, il se leva et grimaça en sentant la vague électrisante qui partit de ses pieds jusqu’à ses cervicales. Il fit quelques pas et trébucha soudainement, faisant tomber la lampe et son portable par terre. S’arrêtant de bouger automatiquement, il tourna la tête en direction du lit et comme Ren ne s’était pas réveilla, continua sa traversée de la chambre. Il se traîna ainsi jusqu’à la chambre de la petite et arriva pile au moment où elle se réveillait, ainsi elle n’eut pas à pleurer et tirer le médium de son sommeil. S’asseyant dans le canapé, il la berça et lui donna à manger, puis mit la télé à son bas et se coucha sur le côté, Maki dans les bras, sa petite tête posée sur son torse. Là, il se rendormit avec l’impression d’avoir couru un marathon.

Une fois passé le challenge de se lever, la suite fut un peu plus facile. Il avait toujours un peu de mal à aligner deux pas mais à force de pratique ça allait revenir non ? Il fut même capable de s’occuper de la petite fille et, éreinté, il finit par s’endormir sur le canapé. Il s’avéra que Maki avait le même « pouvoir » sur lui que Ren : bien qu’il soit seul avec le bébé endormi sur le torse, pas une fois il ne cria ni ne fit de cauchemar, ne bougea même pas d’un poil. Peut-être qu’il n’était pas aussi dangereux que ça pour elle ? Enfin, il n’allait pas non plus dormir avec elle toute sa vie alors la question ne se posait même pas.

Il n’entendit pas le médium l’appeler, profondément endormit et quand il ouvrit les yeux un peu plus tard, l’appartement sentait étrangement bon. L’ange se frotta les yeux tout en faisant attention au bébé toujours sur lui et regarda autour de lui pour croiser le regard du magicien. Combien de temps avait-il dormi ici ? Bah, de toute façon ce n’était pas comme s’il était pressé. Ren l’aida à enlever Maki de sur lui sans la réveiller pour autant, puis le conduit jusqu’à la table, ce que Yûto n’appréciait pas trop. Il avait l’impression de ressembler à un de ces grand-père qui ne pouvaient pas aligner deux pas tous seuls !

- Ton dos, ca va mieux ?

Il hocha de la tête en buvant un peu de café puis lui fit un sourire rassurant en prenant sa main.

- Oui, ne t’inquiète donc pas.

Mais c’était mal le connaître que de dire ça et le professeur savait que ce qu’il venait de dire était entré par une oreille et ressortit par l’autre. Il continua de manger silencieusement, le dos droit pour ne pas avoir encore plus mal.

- J'ai quelque chose à te montrer aujourd'hui...Tu crois que ca va aller ?
- Tant que tu ne me demandes pas de courir un marathon !

Dit-il pour plaisanter. A vrai dire il pouvait juste espérer que ça irait et dans un sens ferait tout pour que ce soit le cas.
Ils finirent de manger et il le suivit dans la voiture, ayant pour interdiction de conduire ce qui le fit grimacer. Mais bon, c’était pour leur sécurité. Il regarda donc en silence le paysage défiler, devenant de plus en plus rural au fur et à mesure que les minutes passaient. Ils s’arrêtèrent sur un petit chemin, dans un coin de verdure et l’ange se demanda ce qu’il faisait là un jour où il voulait se reposer.

- Tu vas voir.

Il acquiesça seulement et sortit de la voiture. Prenant la main de son fiancé, il le suivit jusqu’à une église abandonnée et en piteux état. A quoi ça rimait au juste ? Ils entrèrent à l’intérieur et Yûto insista pour faire un tour avant de lui demander silencieusement ce qu’ils faisaient ici.

- Je connais bien le maire de la ville et...J'avoue que je me suis dit que tu aimerais te marier dans un endroit comme ca...Moi aussi...bien sur il va y avoir quelques arrangements à faire....mais je me suis dit que ca te plairait.
- Oh.

Voilà de quoi il s’agissait. Il souhaitait qu’ils se marient là-dedans…Le professeur regarda encore autour de lui. Il était toujours mal à l’aise dans une église depuis…ça, parce que c’était le lieu érigé par les humains pour Dieu, celui qui s’amusait à les détruire un par un, et bientôt en masse. A vrai dire il n’avait aucune idée de comment il voulait célébrer leur union mais l’église…c’était une option certes, mais qui le mettait vraiment mal à l’aise. Comme si, parce qu’ils se mariaient dans un lieu aussi sacré, Dieu pourrait avoir encore plus d’influence sur leur avenir. C’était stupide mais son œil était partout…sauf peut-être ici ? Après tout elle était complètement déserte, cette église. Il y avait des chances pour qu’il ne s’en souvienne pas et n’y vienne pas. Après un temps de silence interminable dont il ne se rendit pas forcément compte tout de suite, il se tourna vers le plus jeune.

- Tu sais, les églises et moi…on ne fait pas vraiment bon ménage. Mais…celle-ci ira. Bon il faudra refaire les bancs, laver les carreaux et polir un peu le mobilier, mais ça devrait suffire.

Ça l’étonnait toujours de voir à quel point de simples mots pouvaient le rendre aussi heureux tout à coup. Juste une décision et soit il lui sautait au cou comme à présent, soit il avait une tête d’enterrement pendant des jours. N’allez pas croire qu’il faisait ça juste pour lui faire plaisir, même s’il y avait un peu de ça dans sa décision, mais simplement il n’avait aucune idée lui-même de où ils pourraient se marier et franchement, cette église était le seul lieu potable et sécurisé divinement qu’ils trouveraient sûrement. Et puis bon, ce serait le seul mariage de Ren, il l’espérait, alors il voulait que tout soit parfait.

Ils firent encore le tour, puis le jeune homme prit son petit-ami par la taille et lui sourit, debout sur l’autel poussiéreux.

- Dans pas longtemps on se tiendra là toi et moi…

Il le regarda en souriant quelques instants puis descendit en soupirant.

- Bon, ça te dit de rentrer maintenant ? J’aimerai bien me reposer un peu cet après-midi, pour ne pas ressembler à une loque en cours demain.

L’ange rigola mais au fond, il n’y avait rien de drôle là-dedans. Il ne voulait vraiment pas arriver au plus bas de sa forme pour donner ses cours. Ça ne se faisait pas non ?

A vrai dire Yûto n’avait pas encore pensé au lieu où ils pourraient se marier. Ce qui le préoccupait c’était d’abord la demande et il s’était dit qu’il verrait le reste plus tard. Il ne s’attendait pas non plus à ce que Ren ait déjà pris autant les devant. Il pensait tout bonnement qu’il trouverait lui-même et que ça ferait plaisir au plus jeune. Cependant ça ne se passa pas du tout comme ça. Le médium l’avait amené dans cette église abandonnée avec pour objectif de la lui présenter comme potentiel lieu d’union. Sincèrement ? Sur le coup, ça ne lui plu pas, le rebuta même. Mais c’était légitime pour un ange déchu de ne pas vouloir se retrouver dans un édifice érigé pour son bourreau, non ? Donc pas étonnant qu’il n’arborait pas une mine très réjouie en regardant autour de lui avec une petite moue d’appréhension.

- C-Ca ne te plait pas ?

Il ne répondit pas. Non pas que ça ne lui plaisait pas, mais que ça paraissait…oui, absurde. Absurde qu’il se retrouve dans ce genre d’endroit après avoir enduré toutes ces épreuves difficiles. L’ange n’en voulait pas à Ren, constatait seulement qu’il avait fait des efforts pour lui, et ça lui suffisait amplement. Assez pour voir cette église sous un autre angle. Peut-être que c’était lui le problème dans tout ça. Il restait bloqué sur sa condamnation, sinon pourquoi tous ces cauchemars ? Il n’arrivait pas à s’en défaire, allant même jusqu’à contrarier son petit-ami parce qu’il avait peur d’un simple bâtiment en pierre abandonné. C’était stupide, il ne pouvait pas se laisser marcher dessus encore une fois comme ça. Alors, au moment même où le magicien commença à partir, il accepta avec un léger sourire sa proposition.

- Vraiment ???

Yûto leva les yeux au ciel et commença à faire le tour de l’église à nouveau alors que derrière lui Ren sautillait partout, le faisant doucement sourire. Il ne changerait jamais, et le professeur espérait que ça ne soit jamais le cas. Il commençait déjà à faire des arrangements et des plannings dans sa tête, déplacer ça, changer ça, réparer ça…alors que le médium faisait la pipelette.

- Tu sais, j'ai choisi cette église parce qu'il y a une légende selon laquelle, un prince aurait enterré sa princesse juste en dessous de celle lit...Il leva les yeux vers le vitrau. Mais le prince était bien trop malheureux et vint pleurer sa peine dans cette meme église, quand la Mort décida de lui rendre sa princesse...Tu ne trouves pas que ca nous correspond ?
- Oui.

Sa gorge se serra tout à coup mais il le cacha magnifiquement bien en changeant de sujet. C’était bien une légende, parce que même s’il y mettait des millions d’années, jamais on ne lui rendrait sa princesse…ou son équivalent humain. Mais il était bon pour le magicien d’y croire un peu alors il ne vint pas casser sa joie avec des théories scientifiques qui seraient un peu absurdes dans la bouche d’un être surnaturel.

Enfin bref, pour l’instant ils étaient tous les deux très heureux et il ne coupa ce moment que pour lui demander de rentrer, ce que le plus jeune accepta évidemment. L’ange aurait pu lui demander n’importe quoi que le magicien l’aurait fait sans plus attendre, ce qui l’inquiétait sincèrement. Cette naïveté pouvait lui coûter beaucoup. Ils retournèrent à la voiture assez lentement et l’ange s’assit en soufflant, encore un peu fatigué.

- Ecoutes...j'aimerais qu'on prenne quelques jours de vacances. Tes patrons ne t'en voudront pas de prendre quelques jours pas vrai ? On pourrait aller à notre petite maison au bord de la mer avec Maki...S'il te plait....
- Ren, soupira le plus vieux, je ne peux pas m’en aller comme ça, des élèves dépendent de moi. J’ai déjà pris un ou deux jours avant le voyage en Afrique, ça commence à faire beaucoup. Et je peux assurer mes cours, rien ne m’en empêche.

Ohoh, il avait parlé avec un ton un peu trop dur, ce qui n’était pas vraiment très intelligent sachant combien le plus jeune était susceptible. Il ne voulait pas l’engueuler bien sûr, mais cette idée, bien qu’alléchante, n’avait peut-être pas sa place en ce moment, non ? L’ange tendit le bras et lui caressa doucement l’épaule en lui souriant.

- Ecoute, je sais que tu veux faire ça pour moi et je ne t’en remercierai jamais assez. Il ne reste pas longtemps avant les premières vacances scolaires et promis, à ce moment-là on ira, d’accord ?

Il ne se souvenait pas de la dernière fois où il l’avait autant déçu. Si, l’Afrique. En fait ce n’était pas si loin, quand il l’avait presque traité de voleur d’enfant, ce qu’il n’avait jamais pensé en passant. Mais il ne pouvait pas non plus prendre des congés dès qu’il avait un peu mal quelque part, ou il se ferait virer. Les élèves avaient beau l’apprécier, si le directeur décidait de le renvoyer rien ne pourrait changer ça. Yûto avait besoin de la confiance des humains, vu qu’il n’avait plus celle des créatures divines.

Ils rentrèrent chez eux en silence, un silence si pesant qu’on aurait pu le couper au couteau. Pourtant l’ange ne fit rien pour le briser, certain que ça ne ferait qu’envenimer les choses. Il sentait très bien qu’il lui en voulait énormément pour son comportement, et il ne pouvait rien faire d’autre qu’être lui-même n’est-ce pas ?
En passant la porte de l’appartement, il se rendit compte que l’effort lui avait donné très faim mais, ne souhaitant pas être plus embêtant, il attendit patiemment que Ren aille s’occuper de la petite. En fait il se dit que, pour une fois, il pouvait bien faire à manger. Ce n’était pas si compliqué non ? Il se traîna jusqu’à la cuisine, sortit des pâtes qu’il mesura correctement, prit une casserole qu’il remplit d’eau et mit sur le feu. Se soutenant de temps en temps au plan de travail, il sortit des bouts de viandes du frigo et commença à les couper en lamelles. Le jeune homme prenait de plus en plus de plaisir à faire ça, avec l’impression que pour une fois il réussissait à faire quelque chose « d’humain ».

Seulement vint un moment où sa main qui tenait le couteau se mit à trembler alors il le reposa doucement, ne voulant pas faire d’accident. Trop concentré sur ça, il oublia quelques instants l’eau qui bouillait et en la voyant déborder un peu, se précipita pour enlever la casserole. C’est ainsi qu’il fit une des plus grosses bourdes de sa journée. Il ne sut pas si c’était la chaleur, la vapeur ou juste sa santé, mais sa tête commença à le tourner alors que sa main prenait la poignée du récipient et au lieu de le soulever correctement, il le fit tomber avec un vacarme assourdissant, s’éclaboussant lui-même d’eau brûlante. Sous le choc il tomba par terre et se cogna la tête contre le plan de travail, fit tomber le couteau qui lui érafla le bras alors qu’à peine quelques secondes plus tard, Ren était devant lui, l’aidant à reprendre son souffle.

- Je…je vais prendre un congé…

S’il ne pouvait même pas faire des choses aussi simple, comment allait-il réussir à se lever tous les jours et conduire une voiture pour aller travailler toute une journée ?

- Bien sur, tu me prends encore pour un imbécile.

Non, il ne le prenait évidemment pas pour un imbécile, jamais. Il l’aimait trop pour ça. C’était juste…qu’il ne pouvait tout simplement pas faire passer un petit mal de dos avant un engagement professionnel qui lui tenait à cœur. Ces adolescents comptaient sur lui pour les aider à passer les examens. S’il leur faisait faux bond il s’en voudrait éternellement. Mais il n’était pas sûr que Ren comprenne ça. D’ailleurs celui-ci ne lui répondit même pas quand il proposa de repousser leurs petites vacances donc l’ange resta lui aussi silencieux tout le long du trajet. Il lui en voulait c’était certain, mais le médium n’était pas dans sa tête et s’il l’avait été, il aurait agi de la même manière.

En arrivant à l’appartement ce ne fut pas mieux et, pour se faire pardonner et lui prouver qu’il allait bien, le jeune homme décida de faire à manger. Oh, rien de compliqué bien sûr, il n’était pas fou non plus ! Quelque chose de simple mais qui lui plairait. Yûto était certain qu’il pouvait y arriver et c’était bien parti pour ! Seulement…eh bien voilà, seulement la santé le rattrapa au galop, lui prouvant que malgré ses efforts, il n’était pas au top de sa forme. Il tenait à peine debout, ses mains tremblaient si elles tenaient quelque chose un peu trop longtemps, une douleur remontait de ses reins à ses cervicales et il commençait à avoir mal à la tête. Ce qui expliqua le fait qu’il lâcha soudainement la casserole pleine d’eau bouillante qui se renversa sur lui, le faisant tomber sous le choc, s’éraflant avec le couteau en passant. Encore plus mal, trempé et saignant à certains endroits, il était pitoyable, mi-couché sur le sol de la cuisine. Et ce qu’il vit dans les yeux du magicien lui donna honte de lui-même. Ce qu’il craignait arrivait : Ren ne le trouvait plus magnifique et intouchable. Il ne ressemblait à cet instant qu’à un pauvre humain comme les autres et, pour une fois, ça ne l’enchanta pas.

L’ange se laissa traîner jusqu’au canapé où il se coucha avec un petit gémissement incontrôlé. Le plus jeune s’occupa alors de lui, lui donnant de plus en plus la nausée. Il semblait si furieux contre lui que, soudainement, Yûto n’avait plus qu’une envie : disparaître et ainsi arrêter de le rendre malheureux à cause de ses décisions. A la place il se laissa faire sans rien dire, le regard perdu dans le vide, empêchant les émotions et sentiments du médium entrer dans sa tête. Coupé du monde, il se rendit compte au bout d’un moment qu’il avait terminé et que maintenant il pleurait. L’ange le regarda sans rien dire, telle une armoire à glace.

- Pourquoi...pourquoi tu fais ca … ?
- Je voulais te cuisiner quelque chose, c’est toujours toi qui le fait…

Evidemment c’était une réponse qui ne lui plaisait pas, à voir la façon dont il sanglota les secondes d’après. Il ne sentait même plus ses mains l’inspecter.

- Tu es un bel idiot, Yuto, un idiot.

Deux fois idiot, et bien dites donc…Il devait vraiment lui en vouloir pour dire ça !

- Je sais, je ne ressemble plus vraiment au Yûto d’avant, le vrai ange gardien. Je suis désolé de te décevoir à nouveau.
- Est ce que tu crois réellement que tu peux nous protéger dans l'état ou tu es ? Et pourtant tu essaies encore et toujours de faire croire que tu es plus fort que les autres...Pourquoi ? C'est tellement bete comme raisonnement. Il faut qu'on puisse se protéger l'un l'autre pour y arriver.
Zut ! Tu es mon fiancé, tu n'es plus mon ange gardien ! J'ai besoin que tu sois en forme pour avancer !

Mais c’était à lui seul de le protéger ! Fiancé ou ange gardien, c’était à lui qu’incombait ce rôle, il était techniquement plus fort. Et il ne voulait pas que ça se passe autrement. Parce qu’il fallait être honnête : peu importe ce que pouvait faire Ren, il ne pourrait jamais le protéger comme il faut avec ses maigres ressources d’humain atteint d’une grave maladie irréversible. Et il ne faisait pas croire qu’il était plus fort, il l’était c’est tout. Est-ce qu’il devait se laisser démolir par un pauvre mal de dos ? Non !
Le jeune homme lui attrapa le poignet alors qu’il s’en allait et le tin fermement dans sa main, n’osant tout de même pas le regarder.

- Je ne comprends pas Ren, tu ne m’acceptes pas comme je suis. Cette façon de penser, cette façon d’agir…c’est moi, depuis 3025 ans je suis comme ça et je ne peux pas en changer. Si tu ne peux pas me supporter, dis-le-moi clairement. J’essaie vraiment de devenir le meilleur pour toi mais…ce que tu me demandes c’est trop. J’ai besoin de sentir que tu t’appuies sur moi seul comme tu as besoin de savoir que je ne suis qu’à toi jusqu’à ton dernier souffle. Je ne peux pas changer…

Est-ce qu’on devait le punir pour être lui-même ? ça le faisait déjà bien assez souffrir comme ça d’être nul en tant qu’ange gardien, alors être nul en tant que petit-ami et fiancé…c’était pire, bien pire.

- Je peux faire des efforts pour être en forme, mais je n’en ferai pas si ça veut dire vous mettre en arrière-plan. Je suis comme ça, et je sais que tu m’en veux de l’être.

L’ange lui lâcha doucement le poignet puis se retourna côté dossier sur le canapé, évitant ainsi de le regarder. Ses paupières luttèrent contre lui pour se fermer afin qu’il dorme et se repose, mais il avait peur. Peur des cauchemars, peur de donner encore raison au médium alors qu’il n’y avait pas de solution. Yûto le prenait comme il était, avec tous ses défauts d’humains, ses soucis, ses sautes d’humeurs et ses charmes…pourquoi lui ne faisait pas la même chose ?

- Mais tu ne comprends vraiment rien ! Je ne veux pas que tu changes. Je veux juste que tu saches ou son tes limites. Je veux que tu les sente et que tu te ménages ne serait qu'un peu. Tu...Tu sais très bien que je compte sur toi plus que tout, mais je veux seulement que tu veilles aussi à ne pas en faire trop, t'accorder des pauses....
Parce que qu'est ce qui arrivera si un jour un ange s'attaque à toi alors que tu es dans cet état ? Tu y as déjà pensé ? Je t'aime plus que tout....Je ne supporte pas de te voir aussi mal.

S’accorder des pauses ? Se ménager ? Il n’y avait pas la possibilité de faire ça avec leur vie ! A chaque démonstration de faiblesse Dieu revenait à la charge, frappant encore plus fort…Et puis de toute façon c’était impossible de faire des pauses. On ne partait pas comme ça d’un travail et Maki, elle, ne faisait pas de « pauses ». Il fallait être là pour s’en occuper comme il fallait gagner de l’argent pour leur survie. C’était normal pas vrai ? Tout le monde faisait comme ça ! Alors non, il n’était pas d’accord avec sa façon de penser. Il ne se laisserait pas abattre par si peu.

- Oui, je t'en veux, mais ce n'est que parce que je t'aime et non parce que je veux que tu changes....
- Si tu le dis.

Tout ça c’était du pareil au même non ? C’était lié d’une manière ou d’une autre. Au fond Ren voulait qu’il change de comportement, se « ménager », en disant que c’est parce qu’il l’aime ? Il devrait le remercier au contraire. Ce n’était pas avec son pauvre salaire irrégulier de magicien qu’il allait pouvoir subvenir à leurs besoins ! Yûto se tourna sur le côté pour se coucher, sentant que s’il parlait ou même pensait plus, il allait devenir méchant et leur faire plus de mal. Il mit quelques secondes à fermer les yeux et s’endormit profondément.

(…)

A son réveil il eut d’abord du mal à se situer. C’est en voyant la télé en face de lui qu’il se rendit compte qu’il était allongé sur le canapé, les jambes repliées sur lui-même et des bras familiers qui entouraient sa taille. L’ange déchu se retourna aussi doucement que possible pour bien se placer contre son fiancé, le regardant dormir paisiblement. Il avait tellement pleuré la veille que c’était presque normal de le voir aussi assoupi, comme un enfant qui venait d’avoir une déception. Les évènements de la veille lui revenaient petit à petit en mémoire et il n’arrivait pas à dire si ce qu’il avait fait ou dit était bien ou pas. Son avis n’avait pas vraiment changé mais il considérait plus le fait que oui, Ren avait peut-être autant raison que lui sur certains points. Il l’aimait tellement et c’était un sentiment si inconnu pour lui qu’il ne savait pas vraiment agir comme il le fallait et pensait que ça allait. Et quand on lui disait qu’il faisait mal, et bien il faisait l’enfant capricieux et boudait. Il était censé être le plus avisé des deux non ? Prendre les bonnes décisions ? Alors pourquoi il avait l’impression que cette fois il faisait la plus grosse erreur de toute sa vie ?

Le jeune homme remonta sa main et fit glisser ses doigts le long de sa joue puis dans sa chevelure châtain. Il joua avec ses mèches pendant quelques minutes jusqu’à ce que le plus jeune commence à se réveiller puis le regarda ouvrir les yeux et croiser les siens, emprunts d’une tristesse profonde.

- Je suis désolé...je suis vraiment désolé...J'ai eu tellement peur...je ne voulais pas me mettre en colère contre toi...Je ne veux pas que tu changes non plus...C'est Yuto que j'ai accepté d'épouser avec ses qualités et ses défauts, et je ne changerais d'avis pour rien au monde...Je t'en pris, crois moi...

Le plus vieux sourit doucement et l’attira contre lui, reniflant son odeur au passage, celle-là même qui l’apaisait tellement.

- Je te crois, j’ai confiance en toi. Tu sais j’aimerai bien ne pas avoir cette manie de tout vouloir contrôler et que ce soit toujours parfait. J’aimerai pouvoir me poser et me dire « je prends une pause maintenant parce que j’en ai besoin ». Seulement je n’y arrive pas. Je suis resté trop longtemps sans rien faire…

Et Ren en avait payé le prix non ? Il essayait juste de réparer ses erreurs cette fois, en faisant tout ce qu’il faut. S’il avait agi un peu plus tôt le médium n’aurait pas eu cette maladie. Il ne voulait rien regretter plus tard, il voulait avoir le ressenti qu’il avait fait tout son possible pour le rendre plus heureux que jamais. C’était aussi simple que ça, ou du moins ça le paraissait. Il savait aussi que ce qu’il faisait en essayant de le rendre heureux le rendait au contraire malheureux. Mais il fallait choisir entre le confort et sa santé. Bien sûr le magicien choisirait la santé de l’ange avant son propre confort, et lui-même pensait ainsi. Mais ça ne pouvait pas marcher comme ça.

- Ne t’en fais pas, ça va aller. Je me sens déjà mieux.

Et c’était en partie vrai. Il avait déjà moins mal à la tête et il pouvait bouger ses jambes sans grimacer. Le jeune homme se colla un peu plus contre son fiancé et soupira en venant frotter son nez contre le sien, retrouvant cette intimité qu’ils semblaient avoir définitivement perdue la veille. Les yeux mi-clos, il vint frôler ses lèvres des siennes alors que ses doigts caressaient doucement sa joue, glissant dans son cou puis sa nuque. Il aimait plus que tout cet instant qui précédait un baiser : l’attente, l’appréhension, l’envie qui lui déchirait les entrailles…Le premier fut doux et court, mais suivit directement par un autre, comme si c’était leur première fois, qu’ils n’étaient que des jeunes garçons qui se découvraient. Et c’était un peu le cas. Il redécouvrait la saveur de ses lèvres sucrés et douces sur les siennes, la sensation qu’il ressentait dans son corps et son cerveau quand il les touchait, les baisait à son bon vouloir. Et enfin quand tout se faisait plus pressé. Là ils s’abandonnaient l’un à l’autre, partageant un baiser profond que provoquait la rencontre deux leurs deux langues. Yûto gémit de bonheur et fit glisser ses mains jusqu’à la taille du plus jeune, qu’il attrapa fermement afin de le retourner sur le canapé. Au-dessus de lui, il joua un moment à dévorer ses lèvres, les mordiller, les suçoter puis déposa de délicats baisers sur sa joue et dans son cou. Bien conscient qu’ils ne pouvaient et ne pourraient pas aller plus loin aujourd’hui. Couché sur lui, l’ange plongea son regard sombre dans le sien et le regarda longtemps, caressant ses cheveux et son visage des mains.

- Je t’aime mon petit magicien…, fit-il en souriant légèrement.