Tsukushi Yûto était sûr d’avoir fait le bon choix. Il refusait de servir de pantin de la mort au Tout Puissant. Au fil des années, il avait appris que chacun avait sa place et sa raison d’être sur Terre ou dans le Ciel, ou en dessous d’ailleurs. Et puis il avait appris ce diction des humains un jour : « donner c’est donner, reprendre c’est voler ». Dieu avait donné la vie à ces humains, la leur reprendre était du vol pur et dur.

La première fois qu’il avait ressenti ce diction, ce fut lors de la mort de la mère de son protégé. Il ne la connaissait pas, même pas son nom, et le sien non plus, mais la rage l’avait envahi quand il avait vu le bain de sang autour de cette femme innocente. On lui avait volé sa vie en la lui retirant trop tôt.

C’est d’ailleurs en refusant d’ôter la vie à ce jeune homme, en l’empêchant de se suicider que Yûto s’était retrouvé banni des Cieux, les ailes brûlées devenues grises…un ange déchu. Il ne regrettait pas sa décision, c’était le bon choix, mais maintenant il était vulnérable, faible, et plus aussi capable d’aider ceux qui en avaient besoin. De plus, depuis son exclusion et sa descente sur Terre, il avait perdu de vu son protégé, qui semblait se faire un plaisir de s’attirer des ennuis. Chaque jour il se rongeait les sangs, parcourait la ville à la recherche de cet homme qui, 19 ans plus tôt, alors qu’il avait 5 ans, lui avait offert une peluche qu’il gardait toujours dans son nouvel appartement pour le remercier de lui avoir sauvé la vie. Pour la première fois. Depuis les occasions s’étaient presque enchainées mais son nouvel état, ses pouvoirs diminués, lui faisait craindre un trop grand danger. Et s’il échouait dans son rôle d’ange gardien ?

C’est dans cet esprit que l’ange parcourait les petites rue, essayant de percer par tous ses sens ne serait-ce qu’un signe du jeune homme. Il laissa ses pas le conduire, à l’affut du moindre indice et soudain il se figea. Au fond de lui il l’avait senti, cet appel au secours. Faible, mais bien réel. Il lui arrivait encore quelque chose, c’était sûr, donc il se dépêcha. Suivant cette sensation, il couru de ruelles en ruelles et finalement déboucha sur une des plus sombres. Là, l’ange entendit très bien ce qu’il se passait et, inspirant un bon coup pour ne pas se laisser emporter, il s’approcha rapidement.

Voir un ange en plein travail ou combat, c’était assez impressionnant. Même si on ne voyait pas ses ailes, son regard et son visage le faisaient ressembler à une statue divine, il était froid et efficace. Évidemment son pouvoir affaiblit ne marcha pas tout de suite. Il avisa les trois hommes et, sans prévenir, en chopa un par le col et le tira en arrière, laissant un peu plus d’espace à la victime qu’il reconnut. Yûto se baissa pour éviter un coup, banda ses muscles comme pour s’en servir mais ce ne fut pas le cas. Il en bloqua un de son coude contre le mur, tenait l’autre par le bras et le dernier à ses pieds.
Contact établi : son pouvoir déferla dans ses veines et il leur insuffla de se calmer, il effaça toute violence pour l’instant de leur organisme et de leurs pensées et finalement, quand il pu les lâcher, il leur ordonna de partir. Tout ça sans avoir dit un seul mot. Les 3 hommes le regardaient comme des pantins, en admiration presque devant lui. Puis ils finirent par partir et l’ange arrangea ses vêtements avant d’aller voir le jeune homme toujours allongé contre le mur.

Il passa deux de ses doigts dans son cou, cherchant un pouls qu’il trouva rapidement. Il l’écouta pendant un temps, les yeux fermés avant de se rappeler qu’il ne devait pas le voir. Maintenant qu’il l’avait retrouvé, il suffisait juste de le suivre. Il ressentit beaucoup de tristesse, de colère et de haine dans ce corps et, avec tout ce dont il était capable, il insuffla un peu de calme et de repos dans son esprit. Bien sûr ça ne durerait pas, mais c’était le moins qu’il puisse faire.

Inquiet de le laisser seul ici, il décida de le surveiller du coin de la rue et de vérifier qu’il rentre bien chez lui. C’était son plan lorsqu’il se releva, mais il n’avait pas pensé à ce qu’il devrait faire si, comme il venait de se passer, son protégé lui attrapait la cheville.

Au fond de lui Yûto regrettait vraiment que les choses aient tournées de cette façon. Il aimait son ancienne maison, immense et très peuplée, mais au moins là-bas il était toujours lui-même. C’est d’ailleurs ce qui lui coûta ses ailes, jusqu’à son propre nom. Debout devant la fenêtre, il frôla son bras droit du doigt, était-ce un signe ? Si cette marque était apparue, c’était pour une raison non ? Qui, à part lui, portait une des représentations de l’Enfer sur sa peau ?

Il regarda paisiblement les nuages bouger et perçu les mouvements de l’humain dans le lit d’à côté. Il resta de marbre à ses appels, parce que ce n’était plus l’enfant, ni même le gentil Ren qui était là, mais une sorte de monstre que le monde avait créé lui-même. Comme lui, il avait perdu une partie de lui-même dans tout ça, sauf qu’il n’avait aucune idée de ce que préparait le Tout Puissant là-haut.

- Heeeey monsieur l'inconnu.

Ils ne se connaissaient pas, il ne devrait pas être là. Il était en train de faire une grosse bêtise à présent, alors pour rattraper le coup, il lui donna un conseil. Qui sembla choquer l’humain. Compréhensible, vu qu’il n’avait jamais parlé à personne de sa maladie, alors comment un inconnu pourrait le savoir ? Même lui aurait été méfiant. Pourtant là c’était plus que de la méfiance, de la colère, un peu de peur aussi.

- Tu...comment est ce que tu sais ca ??? T'es un stalker ou quelque chose comme ca ??? Pas possible !
- Je te le dirais que tu ne me croirais pas. Mais je l’ai su dès le début. En fait, en même temps que toi.

Il aurait dû deviner ce jour-là, il aurait dû surveiller son petit-ami, s’il avait découvert avant qu’il avait le VIH, il aurait pu empêcher cette catastrophe irréversible. Mais Ren l’aurait-il seulement écouté, lui, un inconnu ?
Yûto se retourna vers son protégé, plantant son regard sombre dans celui dur de l’humain, qui commença à flancher alors que l’ange utilisait ses pouvoirs, qui pour le coup fonctionnaient sans qu’il y ait eu besoin de contact. Il lui offrit du calme, de l’apaisement et ça marcha, sauf que l’effet escompté ne fut pas obtenu. Il ressentit de l’incompréhension, voilà, il se souvenait de lui, il se posait des questions. Son regard le scruta mais il ne silla pas.

- Tu n’es pas fou, juste ignorant, comme la plupart d’entre nous.

Lui-même l’était, pour croire que son petit paradis allait continuer là-haut. Il avait été stupide de croire en une personne dont les décisions étaient extrémistes et cruelles. Il regarda le jeune homme s’approcher de lui, toucher son visage pour bien se rendre compte qu’il était vivant et l’ange ressentit une drôle de sensation à ce toucher, mais là ça venait de lui. Au début, il avait eu du mal à distinguer ses sentiments de ceux des autres mais maintenant c’était clair comme de l’eau de roche. Son protégé ne l’était pas pour rien.

- C'est impossible que tu es 45 ans.

En temps normal il aurait ri, mais là non.

- Tu as raison, je n’ai pas 45 ans. Et je ne les aurais jamais. Enfin si je les ai eus un jour…

Rien que ça donnait une piste sérieuse à explorer. Qui ne pouvait pas avoir 45 ans tout en les ayant déjà eu, et en ressemblant à un jeune homme de 25 ans ? Un être immortel. Yûto ne se souvenait même plus de ses 45 ans, c’était déjà si loin. La seule chose dont il se souvenait, c’était qu’il était considéré comme un novice, le « petit Ezeckiel » et qu’à ce moment-là, ses ailes étaient blanches, sa réputation immaculée et sa peau vierge de marques étranges. Mais ça ne servait à rien de revenir sur le passé, c’était fait, c’est tout. Le présent et l’avenir son beaucoup plus importants. Et lui son présent et son avenir, c’était sauver Ren du gouffre qui l’engloutissait.

Il fut satisfait de le voir prendre ses médicaments, au moins c’était ça ! Et le visage qu’il tourna vers lui était de marbre, égal au sien.

- Ecoute je sais pas ce que tu es et pourquoi tu es revenu après si longtemps, et je t'en suis reconnaissant...Mais je n'ai pas l'intention de me faire faire la lecon par un inconnu qui est bien....plus étrange que moi.
Je vais mourir de toute facon...
- Vous avez vraiment une drôle de façon de voir les choses. Pourquoi serait-ce moi la chose étrange ? J’étais là bien avant, j’ai vu ta création, nous sommes là depuis des siècles et se sont nous les « étranges » ? Est-ce que ça ne devrait pas être le contraire ?
Ensuite je suis une personne, tout comme toi, alors s’il-te-plait demande-moi QUI je suis et non pas CE QUE je suis. Et j’espérais sincèrement que tu m’ais oublié…ça aurait été plus facile.
Tout le monde meure, même moi, est-ce que ça veut dire que je ne peux pas me battre pour ce en quoi je crois ? Est-ce que tout le chemin que j’ai fait depuis toutes ces années pour te venir en aide, n’a servi à rien ?

L’ange s’approcha de l’humain et planta de nouveau son regard sérieux dans les siens.

- Je suis là pour t’aider, j’ai commencé, je ne compte pas m’arrêter maintenant. Que tu le veuilles ou non, je serai derrière toi, à te rattraper au moindre faux pas. Tu vaux mieux que ça Ren, comme ta mère auparavant j’en suis persuadé.

Peut-être avait-il eu tort de dire ça, ça ne sembla pas faire très plaisir au jeune homme, comme si faire mention de sa mère était un sacrilège. Ce n’était pas normal qu’il réagisse ainsi, il était perturbé, complètement déboussolé alors, malgré ses règles habituelles de prudence, Yûto décida de rester. Plus il serait prêt de son protégé, mieux il pourrait l’aider. Cependant celui-ci ne semblait pas apte à écouter ce qu’il avait à lui expliquer, et ses pouvoirs ne marchaient plus à distance, encore une fois. Mais ses sentiments l’assaillaient de toute part avant qu’il ait pu se créer son rempart habituel contre les émotions humaines. Il posa une main sur sa tête, avec un mal de crâne naissant. Il en ingurgitait beaucoup trop, il fallait que Ren se calme pour qu’il puisse réfléchir.

- Stop ! Assieds-toi !

Malgré ce qu’il pensait, ça marcha. Le jeune homme finit par s’assoir sur le lit, l’air méfiant.

- Tu es…médium n’est-ce pas ? - hochement de tête - Tu sais donc que, selon les humains, ce n’est pas « normal ». Personnellement pour moi c’est tout à fait normal, il a toujours fallu des personnes comme toi pour nous aider à voir l’avenir, mais bref. Comme tu as dû t’en douter, je ne suis pas « normal » non plus, mais différemment de toi.
Ren, que sais-tu des anges ?

- Quoi ??? Tu vas pas me sucer me sang quand meme ?? Ah j'aurais du m'en douter ! Personne n'est capable de porter secours a quelqu'un sans avoir d'idée derrière la tête ! Ne t'approches pas de moi, je suis pas comestible.
- Tu plaisantes j’espère ? fit l’ange en pouffant. J’ai vraiment l’air d’un vampire ? Désolé mais ça n’existe que dans les livres.

Il en rirait presque ! Mais ne le fit pas et à la place commença une explication. Plus la peine de se cacher maintenant, s’il voulait être efficace, il devait jouer cartes sur table et Yûto était connu pour sa franchise et son honnêteté, c’est pourquoi il n’hésita pas à lui dire qu’il regrettait qu’il l’ait reconnu. Ça pouvait être blessant en effet, mais il ne pouvait pas mentir sur ses sentiments, parce qu’il savait que tout ça n’apporterait que des problèmes supplémentaires, et tous les deux n’en avaient pas besoin.

- Si te déranges tellement que je t'ai reconnu, pourquoi m'avoir aidé en premier lieu ?! Tu aurais très bien pu faire comme tout le monde : passer ton chemin.

Pourquoi était-il si têtu et si peu conscient de sa valeur ?

- Si j’avais passé mon chemin tu ne serais même pas là aujourd’hui, et même si en ce moment tu souhaites ne pas exister sûrement, je suis sûr qu’au fond de toi tu te sens chanceux de vivre. Tu devrais l’être. Je t’ai peut-être vexé, mais je pense vraiment qu’il aurait mieux valu que tu m’oublies.

Par la suite il ressentit très mal ses accusations, parce que oui, il aurait dû faire quelque chose pour sa mère, pour lui. Il se sentait coupable de ne pas avoir pu les aider comme il aurait dû le faire. L’ange baissa la tête, honteux. A vrai dire à ce moment-là on lui avait demandé de faire quelque chose alors il s’était désintéressé des humains pendant quoi, 12h ? ça avait suffit les deux fois à tuer sa mère et à lui refiler le VIH.

Il comprenait très bien le fait qu’il ne veuille pas de lui parce que oui, il n’avait pas fait grand-chose en 19 ans pour son bien, et sincèrement il le regrettait profondément. Mais au fond de lui il savait que malgré ces paroles, Ren avait besoin de quelqu’un et quoiqu’il puisse en dire, il était là pour remplacer sa mère. Ça ne lui plu pas évidemment, mais le jeune homme se contenta de rester debout pendant ses quelques secondes de colère, jusqu’à le stopper d’un ordre sec.

A son plus grand étonnement, il le dévisagea mais surtout l’écouta, attentif aux mots qui sortaient de sa bouche. Quand il posa sa dernière question, il attendit. Quoi ? Il ne savait pas vraiment. Il ne s’attendait pas à ce qu’il connaisse quoique ce soit des anges à vrai dire, à part les inepties parfois qu’on pouvait trouver dans les livres. D’ailleurs ce fut ce que Ren dit juste après, et qui le fit sourire intérieurement. Et puis il sembla enfin faire la liaison. Ses grands yeux noirs se transformèrent en deux billes rondes, réaction commune aux rares humains qui apprenaient leur existence.

- Tu serais une sorte d'ange gardien envoyé par Dieu pour me protéger ?

Le visage de Yûto s’assombrit. Si seulement ça pouvait être ça ! Tout aurait été plus simple ! Si seulement Dieu n’avait pas décidé le contraire de ce que le jeune homme croyait…

- Je suis ton ange gardien oui.

Il n’arrivait pas encore à lui dire que d’avoir ce statut lui avait beaucoup coûté, et que c’était loin d’être facile à supporter, ses nombreux cauchemars en témoignaient !

- Désolé, mais il s'est trompé de personne, j'peux me débrouiller tout seul. Tu devrais aller protéger des gens qui en ont réellement besoin.

L’ange ressentit sa phrase comme une insulte. Comme si son choix de le protéger était nul, qu’il avait tout faux. Yûto savait que c’était la bonne chose à faire, qu’il était le mieux placé pour l’aider et que surtout il en avait besoin. Il ne pouvait pas se dire qu’il avait tellement perdu pour une personne qui le dénigrait ainsi. Il allait lui faire part de sa pensée lorsque Ren le coupa.

- Comment tu t'appelles ?
- Ça t’intéresse maintenant ?

Railla-t-il, légèrement vexé. Il attendit un peu et reprit la parole.

- Je m’appelle…Tsukushi Yûto, mais mon vrai nom est Ezeckiel. Je suis un ange, enfin…j’en étais un, jusqu’à il y a quelques temps. C’est moi qui t’ai sauvé la première fois, quand tu avais 5 ans, ce n’était pas prévu du tout, mais depuis ce jour-là j’ai décidé de devenir ton ange gardien, parce oui, au fond de moi je sais que tu en as besoin ! J’ai 3025 ans, donc tu vois les 45 sont largement passés !

Il se tut un instant, se demandant s’il devait parler de sa présence ici. Il ne pouvait pas lui parler des ordres de Dieu, ça le blesserait encore plus et renforcerait sa décision come quoi on ne cherchait qu’à les tuer, remarque en ce moment ce n’était pas faux. Des archanges et anges se baladaient un peu partout, commençant à faire s’entretuer des humains de manière violente, sans pour autant intervenir. C’était mesquin d’utiliser des êtres pour ça. Et dire qu’il avait failli en faire partie !

Yûto était dans ses pensées, quand Ren le ramena à la réalité. Il hésitait à en confier plus, mais bon l’honnêteté était sa meilleure arme, surtout s’il voulait obtenir sa confiance.

- As-tu des questions à me poser ?

Fit-il après s’être assis en tailleur au sol.

Rares étaient les anges gardiens qui se montraient vraiment à leur protégé. La plupart du temps, soient ils pouvaient se rendre invisible soit ils contrôlaient tout de là-haut. Mais avec ses pouvoirs affaiblis et sa condition, Yûto s’était retrouvé dans cette situation compliquée, devant son protégé en train de lui avouer sa vraie nature.

- A la bonheur ! Je comprends mieux maintenant !

Il savait bien quel était son caractère, pourtant c’était toujours bizarre de se prendre de telles phrases en plein visage. C’était sarcastique, il se moquait ouvertement de lui, le dénigrait. Ça ne lui plaisait pas, mais il n’en montra rien. Comme beaucoup, l’ange déchu avait une bonne estime de lui-même, il savait qu’il avait des qualités et qu’il était intelligent. Mais se voit traité ainsi par un humain qui ne faisait même pas attention à lui et à tout ce qu’il avait fait jusqu’à maintenant, lui faisait mal et l’énervait un peu.

Donc il se présenta, donna ses noms, son âge, son but, et lui demanda s’il avait des questions à lui poser. Comme il s’en doutait, il en avait. Il était prêt à lui répondre. En fait il souhaitait au fond de lui cette confrontation depuis longtemps. Connaitre un peu mieux son protégé, communiquer avec lui, même si ce dernier était une personne difficile. La première question arriva :

- Bon, tout d'abord, si tu es mon ange gardien alors tu es forcement un ange non ? Ou alors... Pourquoi est ce que tu n'en serais plus un ? Ça me dépasse !

Pourquoi tout s’évertuait à lui enfoncer un couteau dans le cœur ? Néanmoins il s’était toujours promis d’être sincère, il l’avait même été avec Dieu quand il lui avait dit qu’il ne lui obéirait pas. Peut-être était-ce en fait un défaut plutôt qu’une qualité. Il ne savait pas.

- Ça dépend du point de vue en fait. Pour toi et les humains, je suis un ange. Pour moi et ceux de mon espèce, je ne suis plus rien. Evidemment que ça te dépasse, mais si tu veux je peux t’aider à comprendre. Je suis ce qu’on appelle un ange déchu. Un ange renié. Un ange qui n’a plus de foyer.

Son ton était plein d’amertume qu’il ne pouvait dissimuler, C’était dur et la blessure était encore trop fraîche pour qu’il en parle si facilement. Il fut presque reconnaissant à Ren de poser une autre question, qui était encore plus difficile à répondre.

- Ce que je ne comprends toujours pas... C'est pourquoi moi ? Le fait que j'en ai besoin ne suffit pas. Tu aurais très bien pu protéger une autre personne, je suis sur que tu as du en connaitre beaucoup dans ma situation, alors pourquoi hein ?
- On ne choisit pas forcément son protégé, et à vrai dire je ne suis pas assez instruit sur les anges gardiens. Je sais juste que je dois t’aider. Et au contraire, je n’ai pas côtoyé autant d’humains que tu le penses. On peut presque dire…que tu es mon premier. Je n’ai que 3025 ans après tout, je suis jeune.

Bon c’était un peu bizarre sûrement pour le médium d’entendre ça, lui qui n’avait que 24 ans et qui pouvait mourir dans 1 an à peine. Pourtant oui, en âge des cieux il était jeune. Pas forcément expérimenté, mais il était vrai que tous les contacts avec les humains lui étaient encore difficiles. Même s’il les avait observés pendant longtemps, ils restaient un mystère pour lui.

Ren s’était rapproché de lui mais il ne bougea pas, assez calme, mais pas pour longtemps.

- Ezeckiel... Les mots étaient prononcés comme si ils étaient de l'eau chaude dans un onsen.
Se pourrait il que tu aies des sentiments pour moi ?

Déjà, l’entendre l’appeler par son nom d’ange lui fit bizarre. Sortit de sa bouche, ça sonnait comme une douce musique, même si le ton lui, n’était pas forcément doux. Au fond de lui, il apprécia. Mais quand il entendit la suite, son corps se pétrifia alors que ses paupières battaient un peu trop vite. Il évita son regard, revenait dessus puis s’en échappait encore. Cette question le gênait beaucoup plus qu’il ne le pensait, il ne croyait jamais que ça sortirait de sa bouche, c’était inconcevable. Pourtant il était sûr d’une chose, il savait quoi dire et ce qu’il devait faire. Il y avait des règles, et il était très pointilleux à ce sujet.

- Un ange, déchu ou pas, même un démon, même…ne peut pas avoir de sentiments pour un humain, quel qu’il soit. C’est interdit et surtout très peu recommandé. Je suis quelqu’un qui se plie aux règles quand il les estime justes et avisées. Vu que c’est ma première fois en tant qu’ange gardien, je respecterai cet ordre à la lettre : pas de sentiments, pas d’amour. Juste de l’aide. C’est tout ce dont nous avons besoin.

Yûto reprit son air sérieux qu’il posa sur lui. Fini le doute, il s’était évaporé en même temps qu’il parlait. Il ne faisait que l’aider, même si lui-même ne savait pas trop pourquoi il l’avait choisi lui, son rôle se résumait à ça.

- Pour en revenir à tout à l’heure, je suis un ange déchu. C’est-à-dire que Dieu ainsi que mes frères ralliés à lui m’ont reniés. On m’a banni des cieux parce que j’ai osé m’interposer dans…comment dire…les plans du tout-puissant. Tu vois souvent les anges avec des ailes blanches non ? Les miennes sont grises, parce qu’il les a brûlées. J’ai peut-être l’air pitoyable pour toi, mais moi je sais que ce que j’ai fait est juste.

Il fit une pause, essayant de voir s’il le suivait et s’il pouvait continuer. Si lui-même en avait la force.

- Mes raisons sont essentiellement parce que…j’ai refusé de…d’ôter la vie à un homme. J’en avais le pouvoir, j’aurais pu le faire comme on me l’a demandé, seulement…je ne vois pas pourquoi j’aurais condamné cette personne à la mort alors que sa vie ressemblait déjà à l’Enfer. Il n’avait pas besoin qu’on le pousse à se suicider, il avait besoin d’aide.
Parce que j’ai refusé et sauvé cet humain, parce que je me suis rebellé contre lui, Dieu m’a puni et chassé.
Cet homme Ren…c’était toi.

- Quel rabat joie ! Fit le jeune homme en haussant les épaules comme si cela ne le concernait pas et en faisant une moue. Plus de 3000 sans aimer ça doit être bien triste.
- Quand on n’a jamais expérimenté la chose, on ne sait pas ce qu’on rate. Si je n’aime pas de toute ma vie, je ne souffrirai pas de ne pas aimer tu ne penses pas ? Parce que je ne saurai pas ce que c’est. Mais j’ai entendu dire que l’amour des anges est plus dur que les humains, parce que nous sommes intemporels, comment aimer pendant des millions d’années ? ça amène forcément aux trahisons, regarde Dieu…

Il n’en revenait pas lui-même de parler de son créateur ainsi. Mais avec ce qu’il lui avait fait, il avait bien le droit non ? Pourtant il se rappelait avoir vu sur le visage de Ren et dans son cœur cet état de transe, qu’il n’avait pas compris. Un sentiment qu’il ressentait souvent chez les gens mais qu’il ne pouvait pas analyser ni supporter.

Il fut fier de voir qu’il l’écoutait maintenant sans broncher. Il avait mis tellement de temps à ça qu’il ne voulait pas risquer de perdre cet instant. Alors il commença son récit de ses derniers mois, de ce qu’il était maintenant, des raisons de son état. Même s’il pensait vraiment avoir fait le bon choix, come beaucoup d’autres anges déchus il se trouvait un peu pitoyable, après avoir perdu autant de choses.

- Je te trouve pas pitoyable !

Bien sûr, les humains voyaient ça comme ça. Du courage, de la bravoure de s’être interposé ainsi face à une entité si puissante mais de son point de vue, il ne voyait que trahison à celui qui l’avait créé et d’un certain côté, trahir ce qui lui servait de figure paternelle était dur.

Vint le moment le plus dur, dire ce qu’il avait failli faire…le tuer. A vrai dire quand Dieu lui avait ordonné de pousser Ren au suicide, il avait dit oui en sachant qu’il n’en ferait rien, mais il avait peur. Et quand il s’était rendu compte qu’il n’obéirait pas, le tout Puissant avait envoyé un autre ange à sa place. Yûto s’était presque battu avec lui pour empêcher le jeune humain de se tuer ainsi, et dans l’heure d’après Il le convoquait. En y allant, Ezeckiel savait quel serait son châtiment, il avait déjà vu un ange disparaitre ainsi. Il lui avait dit pourquoi il venait, pourquoi il faisait ça. Dieu avait fait passer ça pour sa faute à lui, et l’ange avait juste acquiescé silencieusement, attendant sa punition. La douleur était bien pire qu’une blessure humaine. Les ailes d’un ange faisaient partie intégrante de lui, et les brûler revenait à brûler son corps et son âme. Et pendant la procédure, l’esprit restait très conscient de tout ce qu’il ressentait. C’était la pire des tortures au monde. Et ce n’était que le début.

Depuis qu’il était redecendu, il n’avait plus sorti ses ailes, il n’en avait plus besoin et, à dire vrai, ça représentait trop de chose. Lui qui était si fier de ses ailes, maintenant il avait peur de les voir.

- Tu as eu les ailes brulées a cause de moi ?
- Non ce n’est pas que ça. C’est juste parce que je ne suis pas un bon ange c’est tout.

Ren se leva alors si brutalement qu’il eut à peine le temps de le rattraper pour qu’il ne tombe pas par terre. Son geste fut méchant, il retira sa main de son bras comme s’il avait la peste.

- Qu'est ce que j'ai fais pour mériter ça, hein ?? Pourquoi est ce que le "Tout Puissant" a soudainement décidé que je devais mourir, et souffrir un maximum avant ?? Pourquoi hein ? J'ai rien fait d'autre qu'essayer de faire mon deuil et d'avoir une vie normale! Mais grâce a ton ancien patron, tout est fichu...
C'est injuste...cruel...
- Je ne peux rien te dire Ren, mais tu n’es pas le seul dans ce cas, et malheureusement il n’y a pas eu assez d’anges déchus pour chaque humain. Et s’il te plait, ce n’était pas mon ancien patron, mais mon créateur.
J’ai l’impression de m’entendre ce jour-là...

Oui, il avait dit les mêmes mots. C’était injuste et cruel, mais Dieu lui avait juste dit que c’était comme ça et pas autrement. Que c’était pour le Bien. Quel bien au juste ? Il le regarda se rassoir, maintenant debout en face de lui et attendit sa prochaine question, parce qu’il y en aurait une, il le savait.

- Je te crois maintenant... Admettons. Mais qu'est ce que tu comptes faire exactement ? Tu es seul, et si Dieu a décidé que je devrais mourir je mourrais un de ces jours. Tout ce que tu vas faire, c'est te fatiguer.
- Es-tu vraiment en train de me dire…que j’ai tout perdu pour rien ? Que tout ce que je me suis acharné à faire, même si ce n’est pas parfait, était inutile ? Je ne peux pas y croire, il y a une raison à tout ça, tu mourras mais pas tant que je serais là. C’est comme ça, Il me passera sur le corps avant de t’avoir, maladie ou pas.

Ses yeux sombres et sérieux le suivirent, le voyant se lever et se planter devant lui et Yûto attendit la prochaine pique méchante. Pourtant ce ne fut pas ce qui vint.

- Tu me montrerais tes ailes ?
- Non.

Il avait répondu si vite qu’il n’avait pas eu le temps de réfléchir avant. Il les détestait tellement ! Gris c’était si moche ! Triste, comme lui. Pourtant l’air de Ren devant lui le fit réfléchir, et il capitula.

- Ok. Recule-toi et attends, il me faut un peu de concentration.

Depuis qu’il était déchu, il ne les avait pas sorties, alors il avait presque perdue l’habitude et l’énergie de le faire. Il ferma les yeux, laissa la même chaleur l’envahir, il y eu un petit pincement et il sentit une odeur de brûlé dans l’air, qui faillit lui faire tout arrêter. Mais trop tard, de longues, immenses et majestueuses ailes grises argent se déployaient dans son dos, faisant faire des yeux ronds à l’humain lorsqu’il rouvrit les yeux pour le voir et voir aussi ses ailes qu’il pensait détester.

- Je croyais que c'était le rôle de Lucifer de faire ce genre de chose.
- Il y a longtemps que nous savons tous que ce n’est pas le cas. Seuls les humains « croyants » comme vous les appelez croient en ce genre de chose. Il est loin d’être blanc comme neige !

Ce qui n’empêchait pas qu’il avait toujours un profond respect pour son créateur, qu’on pouvait presque assimiler à son « père ». Un modèle, pas parfait mais un modèle quand même. Et il avait trahi son modèle, il avait comme renié son père et il avait fait pareil. Il n’avait plus de famille, juste son protégé, alors oui il allait tout faire en son pouvoir pour l’aider et le cacher des ordres de Dieu, et des pouvoirs, même affaiblis, il en avait. Il suffisait juste que Ren soit d’accord à présent, et il prit sa réponse pour un oui.

Un problème moins épineux mais dérangeant pour lui survint. Ses ailes…Ses ailes qu’il n’avait plus ressorties depuis 4 mois. Des ailes brûlées, qui montraient sa honte, son déshonneur, sa trahison…Il refusa brutalement tout d’abord de les lui montrer, lui-même ne souhaitait pas les voir, s’il le pouvait, il se les couperait. Mais finalement, sans vraiment savoir pourquoi, il accepta. C’était loin d’être naturel pour un ange de sortir ses ailes. En fait en général c’était facile, on y mettait un peu d’énergie et pop ! des ailes blanches apparaissaient. Sauf que les siennes étaient abîmées et n’avaient pas servies depuis longtemps. En plus il avait baissé de grade céleste, il n’était qu’une mauviette. Alors oui, l’effort à fournir fut plus dur, il alla même jusqu’à froncer les sourcils. Il serra ses mains en un poing et finalement elles apparurent.

Grises argentées, belles, grandes, mais ternes. Sans once de vie. Comme il l’était au plus profond de lui. Ça le perturba, il ne les détestait plus mais ne les aimait pas non plus. C’était compliqué. Et il s’étonna de voir l’humain si compatissant, et surtout si proche de lui d’un coup. Il ne l’avait pas vu venir et il se retrouvait presque recouvert des ailes maintenant.

- Je les trouve magnifiques...tellement dommage qu'elles aient l'air aussi triste... Tu es triste, Yuto ?

En effet, ses ailes étaient plutôt basses, c’était rare chez lui en plus. Mais là il n’arrivait pas à les redresser, comme si le poids dans son cœur appuyait sur les plumes et les rendaient si misérables, comme un chiot qu’on viendrait d’engueuler. Triste ? Oui il l’était, profondément. Mais surtout meurtri, et inquiet. Oui, terriblement inquiet pour l’avenir.

- Tu n’as jamais vu des ailes d’anges, comment peux-tu dire qu’elles sont tristes ? Peut-être est-ce leur forme normale.

Mais même lui n’y croyait pas. Il écarquilla les yeux en voyant la main de Ren s’approcher des ailes et essaya de l’en empêcher. Personne ne les avait jamais vraiment touchées, même lui ne le faisait pas souvent. L’humain le stoppa et ses doigts se posèrent sur les plumes argentées, délicatement. Un long frisson le parcourut, et il se sentit plus léger, mieux, comme si ça effaçait toute la douleur. C’était tellement bon qu’il le laissa recommencer et sans rien faire, ses ailes remontèrent un peu et les entourèrent tous les deux, créant une sorte de cocon. C’était une sensation qu’il n’avait jamais connu, comme si au lieu de caresser ses ailes les mains du médium caressaient son cœur, lui redonnait un peu de chaleur et de bien-être, lui qui pourtant était loin d’en avoir. C’était magique…jusqu’à ce qu’il sente sa main se relever.
Là, il ouvrit brutalement les yeux et regarda ce qu’il faisait. Ses yeux à lui étaient fixés curieusement sur sa « marque », comme s’il reconnaissait quelque chose. Non, pas cette abomination en plus !

- Qu'est ce que ça veut dire ? Demanda t'il au jeune homme tandis qu'il continuait a caresser ses plumes.

Yûto ne pu que se taire, parce qu’il ne voulait pas en parler et que même lui ne savait pas ce que ça voulait dire. Qu’il était condamné à vivre l’enfer sans y être ? Maintenant il était partagé entre la panique et le bien-être des caresses.

- Est ce que tu penses que je suis une mauvaise personne ?
- Pourquoi est-ce que je penserai ça ?

Oui vraiment il ne comprenait pas, quel rapport y avait-il avec ce qui était gravé sur son bras ? A moins que…qu’il croit qu’il ne lui disait pas parce qu’il n’avait pas confiance en lui. Mais ce n’était pas ça. Pas du tout. Il se sentit obligé de le rassurer, c’était son rôle après tout non ? Il ne craignait pas Ren, c’était une bonne personne traumatisée, tout simplement. Il devait se confier pour qu’il fasse la même chose.

- Tu l’as peut-être déjà vu dans les livres…ce sont les fleurs que l’on trouve…seulement…devant les portes de l’Enfer. Ce n’est jamais bon signe d’en posséder une. C’est arrivé vers ma 1000ème année. Je me suis réveillé un matin avec cette…marque sur la main et le bras et impossible de l’enlever. Même Dieu n’a rien pu faire. Je pense que c’était pour me prévenir de ma déchéance, je ne suis pas loin de l’Enfer maintenant. Quelle horreur non ? Un ange qui porte une des marques du Diable.

Il retira la main du médium de son bras et abaissa sa manche jusqu’au maximum, cachant 90% du tatouage et signe qu’il ne voulait plus en parler. En même temps qui voudrait parler d’une chose dont il a honte ? Cependant il le laissa caresser ses ailes encore un peu avant de les faire disparaître.

L’ange déchu ne se rendit pas compte de l’énergie qu’il avait dépensée ainsi, sous sa forme humaine en quelque sorte il était beaucoup mieux, habitué plutôt. Il ressentit un léger mal de crâne et se retourna vers Ren, qui n’avait pas bougé.

- Je pense avoir été plus que convainquant à présent. Maintenant Ren, c’est à toi de faire l’autre pas pour que je puisse t’aider d’avantage. Je ne partirai pas tant que je n’en saurai pas assez.
Si tu n’oses pas commencer tout seul, alors je peux te poser une question. Je suis…inquiet. Comment a progressé ta maladie ?

Yûto avait discuté une fois de son protégé avec un autre ange. Leurs opinions si différentes l’avaient choqué, et il s’était rendu compte qu’ils étaient nombreux à penser ainsi. Beaucoup voyaient Ren comme un humain qui avait mal tourné et qu’il fallait juste renvoyer vers le bon chemin. Et si ça ne marchait pas, juste le laisser en plan. Lui ne le voyait pas ainsi. Il connaissait ce garçon depuis ses 5 ans, et même s’il ne l’avait suivi que de là-haut, son empathie lui avait permis de savoir qui il était vraiment. Une bonne personne, avec énormément d’amour et de gentillesse mais qui n’avait personne à qui les offrir, et surtout personne qui puisse lui en donner en retour. Alors il n’allait pas faire que l’aider, mais trouver ce qui lui manque, le pousser à être au maximum de lui-même, trouver le bonheur et le surveiller le restant de ses jours, jusqu’à ce qu’il meure de vieillesse. Il voulait que ce soit comme ça, mais il y a certaines choses de son plan qui avaient changées. Comme le surveiller de loin, ou la mort par vieillesse aussi.

Mais même avec ça, il était toujours la même personne pour lui. En fait c’était lui qui avait changé, le médium était toujours le même, lui non. La marque sur son bras le prouvait amplement. D’ailleurs il ne s’attendait pas qu’elle vienne dans la conversation si rapidement, cassant ce moment de bien-être particulier. Mais il aurait dû s’en douter, tout le monde ne voyait que ça chez lui. Et tout le monde posait la même question : Qu’est-ce que ça veut dire ? Mais il n’en savait rien lui-même ! En fait, Ezeckiel était sûr maintenant que c’était la marque de sa déchéance, qu’il était en quelque sorte maudit.

Mais Ren fut spécial dans un sens. Ce qu’il dit lui donna un peu d’espoir pour son état, pour l’être qu’il était. Il donnait une nouvelle signification à cette marque effrayante.

- C'est aussi les fleurs représentant Orphee, quand il est allé chercher la femme qu'il aimait aux enfers et l'a sauvé de la mort.

Oui, même si les mythes disaient qu’Orphée avait échoué, il y avait un peu de cet espoir qu’il recherchait. Il fallait qu’il se serve de ses pouvoirs pour aider les autres à échapper le plus longtemps possible au mauvais sort. Mais d’abord, Ren.

Depuis qu’il était descendu sur Terre et qu’il l’avait perdu de vue, il s’inquiétait énormément pour sa santé. Il savait qu’il devait revoir le médecin, mais pas quand exactement. Par-dessus tout, Yûto ne voulait pas le voir mourir.

- T'es médecin en plus d'être ange ??

Cette attaque déraisonnée de la part de l’ange le rembrunit. Alors il voulait la jouer comme ça ? Avec ce regard ? Ok, l’ange était plutôt doué dans ce domaine, très tête de mule quand il le voulait alors il ne lâcherait pas le morceau. Quand il s’inquiétait, c’était pour de vrai et tant qu’il n’aurait pas sa réponse, il ne le laisserait pas tranquille. Alors il soutint son regard, pour finalement gagner. Il n’en retira aucun plaisir évidemment, il n’aimait décidément pas se confronter au médium mais là pas le choix.

- Hier, on m'a annoncé que j'avais une tumeur a la gorge Il ne me reste que quelques mois si jamais ils ne réussissent pas l'opération.

Ezeckiel n’avait jamais ressenti ça. Il ne savait pas si ça venait de lui ou de l’humain, mais une vague de tristesse l’engloutit, avec une pointe de résignation. Non, pas question qu’il se laisse mourir. Il avait fait tant de chemin tout seul, maintenant il pouvait l’aider, il en était sûr ! Tout n’était pas perdu…Il fallait qu’il se batte encore.

- Quoi ?
- Tu n’as pas le droit de faire ça. Tu n’as pas le droit de refuser. Peut-être que tu trouves ta vie misérable mais tout peut changer ! Si ça peut changer en mal alors en bien aussi ! Tu dois t’accrocher, et faire cette opération. Des tas de gens la souhaitent et ne peuvent pas l’avoir. Toi tu as cette chance, prend-là. Tu pourrais vivre des années de plus !

Mais ça ne sembla pas marche des masses, évidemment. Il pensait que tôt ou tard, il mourrait, et plus tôt que tard.

- Ren, même si elle y parait 90% du temps, la vie n’est pas toute noire. Il y a parfois ce genre de moment, cette occasion que tu dois prendre pour lui redonner un peu de couleur. Fais cette opération, et je jure sur mes ailes que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette lueur d’espoir, tu puisses la garder. Que tu vois la lumière dans ta vie. Tu en as forcément une, où qu’elle se cache je la trouverai pour toi. Tu ne peux pas mourir.
Si tu veux je peux faire l’égoïste et du chantage, mais pour l’instant tu es ma lueur sur cette Terre que je ne connais qu’à peine. Tu me supprimerais vraiment mon seul espoir Ren ? Sans remord ? Est-ce que tu reproduirais vraiment le mythe d’Orphée et Eurydice ? Est-ce que quand je vais me retourner, tout l’espoir que j’avais disparaitra avec toi ?

L’ange se rapprocha de l’humain et lui prit les mains, diffusant une onde de chaleur bienfaisante dans son corps.

- Il y a une chose que tu ignores encore. J’ai un don. Je peux influer sur les sentiments des gens, leur donner de la joie, de la tristesse et de la colère. Je te ferais te sentir bien quand tu en auras besoin, fais-moi confiance.

Il le regarda droit dans les yeux, l’air le plus sérieux sur le visage et n’hésita pas une seconde à dire ceci. Parce que c’était vrai, c’était ce qu’il ressentait en tant qu’ange gardien. Et même si ça lui était inconnu, il savait que c’était la meilleure chose à faire. Pour le convaincre de vivre un peu plus.

- Ren, je brûlerai mes ailes une seconde fois si ça pouvait te permettre de vivre plus longtemps.

- Et après ?? L'opération n'a qu'une moitié de chances de marcher. Et admettons, si elle marche, je risque de ne me retrouver incapable de rappeler ! Tu crois que c'est une vie ? Après ça, est ce que tu pourras me rendre tout ce que j'ai perdu ? Une mère aimante, un merveilleux fiancé et la santé. Non rien ne changera. C'est que des belles paroles pour me faire changer d'avis sur l'opération.
- Tu l’as dit, il y a une moitié ! 50% c’est énorme ! Pourquoi voir le côté négatif ? Arrête de te plaindre ! Oui j’aimerai te rendre ta mère et oui je veux te donner la santé. Mais ce que ton « merveilleux fiancé » a fait n’était en aucun cas la décision du divin ! Pourquoi tout le monde croit qu’il fait tout, c’est faux ! Vous les humains rejetez toutes vos fautes sur les autres, si ce gars t’a rendu malade, ce n’est pas par la décision de Dieu, j’ai vérifié ! Parce que oui, moi aussi j’étais en colère, mais cette fois-ci c’était entièrement la faute de ton petit ami, et pas la NOTRE !

Il s’était trop laissé emporter pour le coup, mais il ne mentait pas. En fait ça l’avait rendu plus furieux que son ex fiancé ait fait ça de lui-même, parce qu’il aurait préféré que Dieu le fasse, au moins il aurait une autre raison de le détester. Mais pour cette fois, son créateur n’y était pour rien. L’humain avait agi dans sa propre volonté. Mais il comprenait Ren. Lui aussi aurait voulu rejeter toutes ses fautes et ses malheurs sur quelqu’un d’autre.

Lui tourner le dos ne stopperait pas la conversation, Yûto était trop têtu pour lâcher l’affaire maintenant ! Seulement il devait choisir ses mots, lui montrer qu’il y avait encore de l’espoir. Après tout les humains ne vivaient que de ça non ? D’espoir, c’était la seule chose qui restait et l’ange déchu voulait y croire aussi. Le médium était vraiment son seul espoir de rehausser un peu sa vie morne et sans couleur. Avoir un protégé redonnait un souffle de vie puissant, il voulait le garder.

Prenant ses mains dans les siennes, il l’apaisa et perçut un nombre incalculable de sentiments dans ses yeux. Il voulait lui faire confiance mais doutait toujours énormément. Et le doute l’emporta. Ezeckiel le savait, qu’il ne remporterait pas la bataille du premier coup. Mais là il ne pouvait plus rien faire, il avait même mis ses ailes en jeu !

- J'ai besoin ... De réfléchir... Je t'appellerais quand je saurais.

En lâchant ses mains, l’ange savait que c’était fini. Maintenant il n’avait plus qu’à attendre en sachant que dans 90% des cas, il ne le rappellerait jamais. Et si c’était le cas, alors il ne le forcerait pas. Il le regarderait juste mourir de loin, comme sans doute le médium espérait que ça se passe. Se sentir si inutile, sentir qu’on n’avait pas confiance en lui le brisait à l’intérieur. Il avait vraiment fait tout son possible et avait échoué lamentablement.

Alors il ne se fit pas prier et passa rapidement la porte sans un regard en arrière, sans savoir que s’il était resté 2 secondes de plus, Ren lui aurait demandé de rester pour de bon.

Et contrairement au médium et parce qu’il n’avait pas dormi depuis 48h, une crise le prit cette nuit-là, en plein cauchemar. Dans ce rêve, la marque à son bras s’étendait le long de son corps et ses ailes devenaient noires, parce qu’il s’était vendu au Diable pour son protégé. Protégé qui n’avait pas tenu sa promesse et qu’il voyait sans vie à la morgue. On l’avait roulé, il s’était maudit pour un homme, il avait tout perdu. Il hurla jusqu’à en perdre la voix et une grande dépression le saisit, le clouant dans son lit pendant des heures. Il ne voulait pas se lever, pas manger. De toute façon à quoi bon ? Il n’avait personne, il était seul, personne n’avait besoin de lui.

De nombreuses heures passèrent ainsi où il resta dans un état de légume, comme beaucoup de fois depuis ces 4 mois. Et vers le soir, il se réveilla, prit une douche, se changea et sortit dehors. Là encore, ses pieds le conduisirent pour lui parce qu’il ne savait pas où aller. Et, comme un miracle, une voix retentit. Il le sentit dans tout son être, il l’appelait. Une bouffée de joie l’envahit soudainement, tout n’était pas perdu. L’espoir, encore et toujours. Il couru, suivant ce sentiment qui l’amplifiait jusqu’à arriver à une vieille fête foraine abandonnée. Il ralentit jusqu’à le voir assis sur un vieux banc, dos à lui. Arrivé derrière lui, il posa doucement sa main sur son épaule, heureux de ce contact qui voulait dire qu’il lui faisait confiance.

- Tu as fais le bon choix Ren. Je serais là, tu ne le regretteras pas.

L’ange déchu avait le visage sérieux mais ses yeux souriaient pour lui. Cette fois pas de place à l’erreur, il serait le parfait ange gardien pour ce médium.

- Nous allons rentrer chez toi et en discuter, avant d’appeler les médecins. Il faut que tu sois sûr à 100% et prêt. Mais je suis fier de ta décision parce que c’est celle qui te ressemble le plus. Tu es bon et courageux Ren, ne l’oublies jamais.

Yûto posa sa main sur son épaule et l’accompagna jusqu’à l’appartement. En passant, il acheta une énorme pizza parce qu’il n’avait pas mangé depuis deux jours et qu’il sentait bien que le médium aussi était affamé, même s’il ne voulait pas le lui avouer. Il la déposa toute chaude sur la table de l’appartement et attendit son accord pour s’assoir. Ça sembla l’étonner mais Yûto était comme ça, poli jusqu’à l’extrême. Il ne s’asseyait pas si on ne le lui permettait pas.

Au final il se mit par terre, suivant l’humain qui mit la pizza entre eux deux. L’ange déchu la coupa soigneusement en parts égales et attendit de le voir s’empiffrer pour sourire et manger à son tour. Ça allait mieux, même s’il sentait toujours des ondes négatives dans toute la pièce. La plupart provenant de Ren mais certaines de lui aussi, parce que ses cauchemars ne le quittaient jamais.

La boîte fut vide en quelques minutes seulement et il alla jeter l’emballage dans la poubelle avant de se rassoir devant lui, l’air sérieux.

- Bon, déjà…pourquoi avoir changé d’avis ?

- Tu le penses réellement ?
- Tu apprendras Ren que je ne mens jamais.

A ce jour il ne l’avait jamais fait, mentir. Yûto savait prendre ses responsabilités et ne pas lui dire la vérité le rendrait malade. Il se disait toujours que si les gens savaient qu’il était franc et honnête avec eux, ils lui feraient confiance ensuite. Il espérait que ça marche ainsi avec le médium aussi. Un peu d’ailleurs car celui-ci se laissa conduire jusque chez lui et encore mieux, et malgré la surprise de l’ange, il lui prit la main. C’était une marque de confiance que Yûto ne voulait pas détruire alors il lui serra la main, avec cette impression qu’il tenait un enfant. Et pour lui montrer que tout n’était pas tout noir dans la vie, il acheta une pizza bien chaude, sa préférée il le savait depuis le temps. Il fut bien étonné devant l’air enfantin et ravi qu’il prit au moment où il prit la boîte en carton avec la pizza dedans, comment une simple nourriture pouvait autant faire plaisir ? Mais s’il était heureux, alors lui aussi et il lui sourit chaleureusement.

Il faisait froid ce soir-là et quand ils arrivèrent chez lui la première chose que fit le médium après avoir posé la pizza ce fut s’emmitoufler dans une couverture bien chaude. Ezeckiel attendit poliment qu’il lui accorde de s’assoir, ce qui sembla l’étonner à son tour. Oui ça faisait cet effet à beaucoup de monde, qu’il attende sagement droit comme un piquer qu’on lui permette de s’assoir alors que tout le monde le faisait sans-gêne autour de lui. Seulement pour l’ange il était impossible d’être aussi peu respectueux de son hôte.

- Tu peux t'asseoir tu sais.
- Merci.

Il le fit délicatement et ils commencèrent à manger avec appétit, tous deux n’ayant pas mangés depuis ce qu’il semblait être des siècles ! Après ça, Ren sembla s’être détendu et cette fois-ci Yûto n’avait pas usé de ses pouvoirs pour ça, c’était bon signe. Il progressait. D’ailleurs il ne put s’empêcher de lui demander la raison de son changement d’avis. C’est vrai quoi, il était certain qu’il l’avait perdu la veille !

- Et toi pourquoi poser des questions comme un examinateur ? On dirait que je suis un cas à étudier parfois...

L’ange fronça les sourcils, un peu déçu de cette réponse. En fait il n’avait pas si avancé que ça ! Tout ce qu’il voulait c’était l’aider, ce n’était pas de sa faute si pour ça il devait poser des questions ! Et ce n’était pas vraiment un « cas » à étudier, juste un humain qui lui semblait plus mystérieux et intéressant que les autres, voilà tout. Son regard s’adoucit lorsqu’il lui prit la main, l’air désolé. Signe que ce n’était qu’un réflexe protecteur et qu’il ne lui en voulait pas pour ses questions en réalité.

- Désolé, je voulais pas dire ca. Je....J'ai fait une prémonition cette nuit...Et j'ai repensé à tout ce que tu m'avais dit...Simplement, pouvoir me poser et réfléchir m'a permis de comprendre certaines choses.

Une prémonition ? Quel genre de prémonition ? A propos de qui ? De quoi ? Il était très curieux de savoir mais l’humain ne semblait pas vouloir en parler alors il se tut. Il lui devait bien ça après tout. A la place il bougea un peu et soupira longuement.

- Et maintenant, qu'est ce qu'on fait ? On appelle le médecin ?
- J’appellerai demain matin à la première heure en disant que c’est urgent. Il te connait et te prendra rapidement, j’en suis certain.
- Tu....resteras près de moi pas vrai ? Le jour de l'opération...
- Ils n’auront pas le droit de la faire si je ne suis pas là. Je te l’ai dit Ren, je serai là pour toi, toujours.

Yûto savait qu’ils pensaient tous les deux la même chose, que le médium voulait juste être rassuré qu’il avait bien quelqu’un pour le soutenir derrière lui. Et l’ange était ravi d’avoir ce rôle. Il le regarda bailler avec amusement, mais aussi une certaine crainte de s’endormir lui-même. Encore ses cauchemars, presque chaque nuit. Il chassa cette pensée et accueillit la tête de l’humain sur ses genoux, caressant ses cheveux soyeux couleur caramel. Ça les apaisait autant l’un que l’autre.

- Dis... Tu n'as vraiment jamais aimé qui que ce soit ?
- Non jamais. Je n’ai pas de parents mais j’ai ressenti de l’amour par l’intermédiaire des humains. Tu vois nous les anges sommes intemporels alors nous n’avons pas le même regard que vous sur la vie. Elle vous est courte, alors vous vous dépêchez de la vivre au maximum avant que tout ne s’arrête. C’est pour ça qu’on voit beaucoup d’amour et de haine parmi les humains. Les anges, eux, ne sont pas pressés. Ils savent qu’ils ont le temps pour faire telle chose ou pour réparer une faute. Alors on ne s’engueule pas, on s’arrange. On peut s’aimer mais on prend énormément de temps, on va moins vite en besogne. On ne ressent pas vraiment de besoin animal tu vois, on sait qu’on aura le temps pour ce genre de chose. Parce qu’on sait que dans 10 ans, rien n’aura changé.
Mais...

Il réfléchit un peu, sa main toujours dans les cheveux du plus jeune et sourit avec apaisement.

- Mais j’ai déjà ressenti de l’amour, à travers toi. Comment je ressens toutes tes émotions, j’ai partagé ton sentiment pour cet homme mais je ne le comprenais pas. C’est bien d’ailleurs le seul sentiment que je n’ai jamais compris ni contrôlé. Mon don ne me permet pas d’insuffler de l’amour, il y a Cupidon pour ça !

L’ange rigola un peu et referma un peu plus la couverture sur Ren.

- Peut-être que j’en éprouverais un jour, qui sait ? Mais pour l’instant ça m’est inconnu et, sincèrement, je me demande si ce n’est pas mieux ainsi. Quand je vois la manière dont tu as souffert…

Il se tut avant d’avoir terminé, parce qu’il n’y avait pas vraiment grand-chose à dire d’autre. C’était peut-être le sentiment le plus destructeur : l’Amour. Alors ça le terrifiait un peu, et l’intriguait beaucoup. Yûto vit le médium bailler à s’en décrocher la mâchoire alors que ses yeux se fermaient.

- Tu devrais aller te coucher, demain sera épuisant. Je reste là.

Fit-il après avoir croisé son regard. Mais au fond de lui il stressait à nouveau. Alors après que Ren se soit couché et qu’il ait éteint les lumières, il se tint debout devant la fenêtre, espérant qu’aucun cauchemar ne vienne. Finalement, il alla dans le lit où l’humain dormait déjà et, sans pouvoir se contrôler, il s’endormit comme une masse.

Mais comme une malédiction, sa nuit fut encore agitée.

- Bien sûr que nous mangeons et que nous dormons, nous avons une constitution assez semblable à la vôtre dans ce sens, et encore plus lorsque nous ne sommes pas sous notre forme ailée. Nous ne sommes pas des vampires non plus !

Bonne question de sa part, il avait oublié qu’il pouvait poser ce genre de question, après tout lui aussi se serait demandé comment il vivait ; s’il ne l’avait pas observé pendant des années. D’ailleurs évoquer cette période était bizarre, parler de son don l’était aussi, et des sentiments qu’il éprouvait. En effet Yûto ne connaissait l’amour qu’à travers les humains, donc c’était quelque chose d’incompréhensible qu’on n’avait jamais pu lui expliquer clairement. Il ne donnait pas de raison à cette passion, cette effervescence exagérée et cette haine quand ça se finissait. Pourtant pour Ren ça semblait être une évidence.

- Je ne sais pas trop comment je dois prendre le fait que tu ressens tout ce que je ressens...Mais qu'est ce que ca t'a fait dans ce cas ? Ca ne t'a pas plu ? Ah non...j'imagine que ca ne t'a pas plu...Ce n'était que moi...
- Je peux me fermer aux sentiments des autres mais j’ai toujours trouvé intéressant de laisser les tiens percer. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu es riche en émotions, j’apprends beaucoup avec toi. Mais j’avoue que j’ai éprouvé de l’inconfort quand je percevais tes sentiments dans vos moments…intimes. Non pas que je regardais à ce moment-là bien sûr que non ! Je ne me permettrais pas. C’est jusque que ça me mettait mal à l’aise, le sentiment sans doute…

Ou autre chose mais à cette époque oui, il n’aimait pas les surprendre ensemble. Après tout l’humain avait droit à son intimité !

- Tu sais...A part ca, il n'y a pas que du mauvais dans l'amour...Et mieux vaut pas me prendre comme exemple. Honnêtement.
- Je préfère quand même éviter. J’en ai beaucoup observé et franchement, pour le peu de temps que ça prend le résultat est souvent loin d’être agréable. Tu n’es qu’un exemple parmi tant d’autres, malheureusement.

La conversation finit là-dessus et Ren alla se coucher et s’endormit rapidement. Il lui espérait un sommeil réparateur qui l’aiderait pour la suite. Et en même temps en regardant le ciel il priait pour que son malaise à lui disparaisse. Ça en devenait insupportable, chaque nuit c’était la même rengaine.

Et malgré ses prières, cette nuit-là ne fit pas exception aux autres, et fut même pire. La douleur commençait le long de ses hanches, les flammes léchaient ses cuisses pour atteindre les longues ailes blanches qu’on lui avait forcé à déplier. Ensuite la douleur remontait dans son dos, ses reins, sa colonne vertébrale au fur et à mesure que le feu gagnait du terrain. Il cria, il avait mal, affreusement mal. L’ange tomba à genoux devant son créateur et se retint de le supplier d’arrêter le supplice. En tournant la tête il vit le bas de ses ailes grises comme les cendres de cheminée, ses nerfs se rompirent un à un et un long et dernier cri passa la barrière de ses lèvres avant qu’il ne s’évanouisse aux pieds de Dieu, les ailes en lambeaux…pour se réveiller dans les ténèbres, le corps qui le lançait et au mur la preuve qu’il avait été banni. Il tomba dans un trou, il avait mal, agonisait, il n’y avait personne. Personne…

Dans le lit l’ange déchu s’accrocha au matelas et aux draps, arquant son corps sous la douleur du cauchemar, oubliant qu’il n’était pas chez lui et que Ren était témoin de cette scène pitoyable. Son corps était en feu et il poussa un long gémissement. Dans les ténèbres il entendit sa voix, la chaleur cuisante du feu partie pour laisser place à l’eau, calme et belle et il se réveilla plus tranquillement que les autres fois, mais tout de même troublé. Sa main était fermement accrochée à celle de l’humain qui le regardait. Ezeckiel respirait rapidement et bruyamment, cherchant plus d’oxygène, essayant d’éloigner cet état d’engourdissement et de dépression qui suivait généralement ses cauchemars. La présence de l’humain l’aida.

- Tu faisais un cauchemar.

Il resta allongé sur le lit sans rien dire alors qu’il s’éloignait un peu, le faisant redescendre dans les ténèbres encore présentes de son rêve, qui n’en était pas vraiment un. Yûto se sentait comme un enfant et se maudit pour sa faiblesse. Ce n’était pas au médium de s’occuper de lui mais l’inverse ! Pourtant il le laissa le toucher.

- Tu veux m'en parler ?

En parler ? Mais il n’y avait rien à dire qu’il ne savait déjà ! Non il ne voulait pas se souvenir, c’était trop dur. Mais il ne pouvait pas lui mentir non plus.

- C’était juste un cauchemar.

Ren ne sembla pas convaincu, pourtant c’était la vérité ! Mais devant son regard insistant, devant ce Ren gentil et attentionné qui ne reviendrait peut-être plus, laissant place au sarcastique Ren, il soupira longuement et détourna la tête.

- Je suis malade moi aussi. Je souffre de trouble bipolaire. Depuis mon bannissement, chaque nuit je fais le même cauchemar, j’ai mal. Mais ça va passer, ce n’est rien. Ce n’est rien.

Il força ensuite le médium à se recoucher et l’ange déchu resta tout le reste de la nuit les yeux ouverts, fixés au plafond. Au début il avait deviné que son protégé ne dormait pas parce qu’il le sentait. Et au bout d’un moment il sentit de l’apaisement, du calme, c’était bon. Ren dormait de nouveau paisiblement. Alors en attendant que le jour se lève, il pensa à son tout nouveau rôle, à toutes les conséquences, ce qu’il devait prévoir. L’opération devait marcher.

Vers 6-7h du matin il se leva doucement, se lava le visage et sortit téléphoner au médecin de Ren. La conversation fut brève mais porta ses fruits. Il serait admis l’après-midi même et il envisagerait une opération. Avant de raccrocher, le médecin le remercia d’avoir fait changer le médium d’avis. Comme lui, il pensait que l’humain avait toutes ses chances.

Ensuite Yûto rentra dans l’appartement et fouilla les placards à la recherche d’un petit déjeuner. Il fit du café et alla chercher du pain au coin de la rue. Il se débrouillait moyennement en cuisine à vrai dire, et heureusement qu’il s’était intéressé tôt aux humains parce que sinon à cette heure-ci il ne saurait pas se faire cuire un œuf tout seul !

Quand il rentra, il n’y avait plus personne dans le lit mais de l’eau venait de s’arrêter de couler et Ren sortit de la douche, encore trempé. Ezeckiel se stoppa net, un peu gêné de s’incruster chez lui dans ces moments-là.

- Tu es réveillé.

Ezeckiel n’avait jamais été malade de toute sa vie, pas même un rhume. En même temps il n’y avait ni maladie ni courant d’air aux cieux ! Alors le premier cauchemar qu’il fit fut insurmontable. Il en était venu à s’arracher ses propres vêtements comme si c’était eux qui brûlaient et après ça il était resté 1 semaine entière allongé sur son lit, les yeux vides, le cœur douloureux avec l’impression qu’il était en train de mourir. Ce qu’il l’avait sauvé de ça ? Le fait que Ren soit quelque part dans la ville et qu’il avait besoin de son aide. Que sa maladie était plus importante que la sienne. Il s’était informé sur sa maladie, le trouble bipolaire. Pendant des moments de fortes émotions, son cerveau réagissait différemment et provoquait des crises qui tournaient soit en dépression sévère, pouvant aller jusqu’au suicide soit en hyperactivité qui pouvait tout aussi bien le tuer aussi. Pour l’instant seule la dépression s’était fait sentir. Si ça avait été l’hyperactivité, il n’aurait pas mis 4 mois à retrouver le médium !

Il ne contrôlait pas ses crises, ce ne serait pas drôle sinon n’est-ce pas ? Alors il les subissait et presque chaque soir, revivait sa déchéance, parfois comme cette nuit à puissance 10 ou 100. Imaginez-vous bruler pendant des heures…Voilà ce qu’il ressentait. Cette nuit-là Ren fut son « sauveur », le fait qu’il s’occupe de lui avait stoppé le cauchemar et il avait un peu moins souffert. Pourtant en ouvrant les yeux il n’était plus rien de l’ange de 3000 ans, juste un corps et une âme détruite couchés sur un lit qui n’était pas le sien.

Mais il n’était pas prêt à lui dire tout ça. Il ne voulait pas l’inquiéter plus parce que sa santé était toujours plus importante et qu’on ne pouvait rien faire pour les crises de Yûto.

- Je peux rester éveillé le temps que tu te rendormes ?
- Non, je ne me rendormirai pas. Tu dois te reposer, c’est plus important que tout le reste. Promets-moi de dormir.

Ce que le jeune humain fit au bout d’un temps, après s’être couché à côté de lui, le visage tourné près du sien. Le sentant encore inquiet, leurs mains se trouvèrent et il lui envoya la dernière onde de chaleur du pouvoir qui lui restait. C’était peu, mais le médium s’endormit paisiblement.

(…)

L’ange s’était préparé à ce que Ren réagisse mal à son admission à l’hôpital, le médecin lui avait dit d’être sincère et prévenant. Alors en rentrant des courses, il essaya de formuler des phrases dans sa tête. Des phrases réconfortantes qui cacheraient le fait que lui aussi s’inquiétait beaucoup. Même s’il avait poussé l’humain à ne voir que les 50% positif, il ne pouvait s’empêcher de penser au 50% restants lui aussi. Ce n’était pas à négliger, il le savait. Mais pourquoi démoraliser encore plus son protégé ? Non, il se devait d’être rassurant, et tout se passerait bien.

Il rentra avec un air serein sur le visage dans l’appartement, et resta bloqué dans l’entrée. Il ne s’attendait pas à voir Ren si…peu habillé. L’ange déchu n’était pas un habitué de ce genre de chose, étant très solitaire et sur Terre depuis seulement 4 mois, il n’était pas doué en relations humaines. Entre anges, ils ne se montraient pas de parties intimes ou nues et leurs relations restaient cachées. Il était rare de voir se balader un ange torse nu ou même nu tout court, surtout avec ses ailes !

Il resta interdit devant le visage souriant du châtain et son regard descendit sans qu’il l’ait voulu sur son torse et il fronça les sourcils quand il vit la grosse tache marron sur son épaule gauche. Une brûlure ? Il ne lui en connaissait pas. Ah, il se souvenait. Sa tâche de naissance. Quand Ren avait demandé à 6 ans à sa mère ce que c’était, Ezeckiel les écoutait attentivement et avait découvert, lui aussi avec surprise, ce qu’était cette immense tâche. Il ne trouvait pas ça horrible, juste mystérieux et unique.

- Oui...euh....Je vais...me changer.

Yûto posa le pain encore chaud sur la table, apporta le café et rempli les bols à ras bord. Ren revint, habillé et commença à manger copieusement, à l’opposé de l’ange qui avait du mal à finir la simple tartine de pain qu’il avait dans la main. Tant de choses le remuaient, à commencer par son cauchemar qui était encore là enfouit à l’intérieur de lui, tout près et aussi la façon dont il allait annoncer ça à l’humain.

- Alors, tu as appelé l’hôpital, c'est ça ?

L’ange hocha juste de la tête et arrêta de manger, de toute façon il n’avalait presque pas alors autant de pas gâcher de nourriture inutilement. Il finit son bol de café, il en aurait bien besoin et attendit finalement qu’il lui pose la question fatidique, qui ne tarda pas.

- Alors, c'est prévu pour quand ?

A vrai dire il était aussi hésitant mais sa voix, étrangement, fut sereine et pleine de confiance.

- Tu seras admis cet après-midi et nous discuterons avec le médecin de ton opération.

Il aurait dû rajouter que ça allait bien se passer mais il oublia et aussitôt le jeune homme se mit à trembler dangereusement, avant de se lever rapidement pour aller se réfugier dans sa chambre. Ezeckiel savait qu’il n’y avait rien qu’il pouvait faire, surtout pas le brusquer plus. S’il voulait être seul un instant pour digérer la nouvelle, c’était son choix. Il se devait de le respecter. A la place il débarrassa la table et approcha de la porte. Il entendait très clairement les pleurs du plus jeune, mais encore plus il les ressentait. Il s’était toujours dit qu’il serait le seul à qui il ne fermerait pas son don, pour mieux l’aider. Il attendit quelques minutes mais ça n’arrêtait pas, lui faisant mal à son tour. Alors il toqua.

- Ren…je vais rentrer.

Quand il ouvrit la porte il le vit sécher désespérément ses larmes, qui tombaient encore. Alors Yûto s’approcha de lui et le prit dans ses bras, parce que bizarrement il n’y avait que de cette façon qu’il pensait pouvoir le calmer et le rassurer. Le pauvre tremblait comme une feuille.

- J'ai peur....
- C’est normal. Et si tu n’avais pas peur je m’inquiéterais. Ecoute-moi, tu es quelqu’un de très bien, tu es fort et courageux. Sers-toi de cette peur pour la surmonter, parce que tu le peux. J’ai confiance, tu feras des miracles. Et après ça on fera ce que tu veux.

Il lui caressa le dos quelques instants et quand les larmes se stoppèrent, ils se préparèrent tous les deux. L’ange lui demanda de lui montrer les meilleurs endroits de la ville, et donc tout le reste de la matinée ils la passèrent à parcourir les rues. A midi ils mangèrent dans un fast food et même s’ils ne parlaient pas trop, ils appréciaient juste la présence l’un de l’autre, qui les rassuraient. Finalement, ils se retrouvèrent devant la bâtisse de l’hôpital et Yûto posa sa main sur l’épaule du plus jeune avec un sourire confiant.

- Tu rentres juste à l’hôpital, il n’y aura sûrement rien avant des heures, voire quelques jours. Je resterai là jusqu’à ce que ce soit terminé.

L’humain hocha la tête d’un air déterminé cette fois qui le rassura et ils entrèrent. A l’accueil, Ezeckiel demanda à voir son médecin, qui ne tarda pas en sachant que c’était Ren. Il arriva d’ailleurs si vite qu’ils se demandèrent tous les deux s’il ne les attendait pas. Le professionnel les conduisit à son bureau et l’ange se sentit dévisagé en long, en large et en travers. Et il y avait de quoi. Le médium venait toujours seul, alors comment se faisait-il que soudainement un inconnu l’accompagne ? Et surtout, comment avait-il fait pour le convaincre là où lui avait échoué ?

- Je suis content que vous ayez changé d’avis Manobu-san. Vous devez être…
- Tsukushi Yûto, je vous ai parlé au téléphone.
- Ah oui. J’ai pris en compte vos souhaits Tsukushi-san. J’ai pu programmer l’opération à demain, 17h, comme vous le vouliez.

C’est là que, comme il le craignait, Ren s’interposa.